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Les Déguisemens de Vénus marquent comme le dernier adieu, un peu trop prolongé, à ces douceurs volages dont, plus jeune, il avait dit :

Sur les plaisirs de mon aurore
Vous me verrez tourner des yeux mouillés de pleurs,
Soupirer malgré moi, rougir de mes erreurs,
Et même en rougissant les regretter encore.


On crut déjà remarquer, dans les nudités de ce badinage, quelque recherche d’invention et d’expression ; mais, dans son poème des Rose-Croix (1808), ses admirateurs eux-mêmes se virent forcés de reconnaître de l’obscurité et de la sécheresse, défauts les plus opposés à sa vraie manière. C’était un signe pour Parny de s’arrêter. Il parut le comprendre et ne fit à peu près rien depuis ce temps, rien que des bagatelles plus ou moins gracieuses, dont la négligence ne pouvait compromettre sa gloire. Cette gloire était réelle, et malgré les quelques éclipses et les taches qu’elle s’était faites à elle-même, on la trouve, vers 1810, universellement établi et incontestée. Marie-Joseph Chénier, dans ce qu’il dit du poète en son Tableau de la Littérature, n’est qu’un rapporteur fidèle Parny avait la position et le renom du premier élégiaque de son temps et, pour mieux dire, de toute notre littérature ; comme Delille, comme Fontanes à cette époque, il régnait, lui aussi, à sa manière, bien que dans un jour plus voilé et plus doux. Tout en se tenant dans son coin (c’était son mot), il avait conscience de ce rang élevé, de ce rang premier, et en usait avec modestie, avec bienveillance pour les talens nouveaux, avec autorité toutefois. On a ses billets et réponses en vers à Victorin Fabre, à Millevoye, à M. Tissot qui venait de traduire avec feu les Baisers de Jean Second ; aux complimens gracieux qu’expriment ces petits billets rimés, il savait mêler en simple prose et dans la conversation des conseils d’ami et de maître[1].

  1. Voici, par exemple, une de ses lettres adressées à M. Tssot, au sujet de la traduction en vers des Bucoliques, dont ce dernier préparait, vers 1812, une seconde édition ; on y sent bien la netteté et la précision qui étaient familières à Parny :
    « Lundi, 21.
    « Point de notes marginales, mon cher Tissot ; elles sont toujours incomplètes et suffisantes. Telle critique nécessiterait deux pages d’écriture ; et même ces deux pages diraient mal et ne diraient pas du tout. Venez demain mardi ; nous serons seuls depuis onze heures du matin jusqu’à neuf heures du soir, y compris la demi-heure du dîner.
    « Vous savez que je ne suis pas maître de mes idées : quand elles arrivent, elles m’entraînent. Prenez-moi donc dans le moment où ma tête est vide.
    « Vous avez un rival, et ce rival est dangereux (Millevoye). Sil ne serre pas d’assez près l’original, il rachètera en partie ce défaut par l’élégance et l’harmonie du style. Aussi vous me trouverez sévère, sévérissime.
    « Faites-moi un mot de réponse par Desmarets. — P. »
    On aura remarqué cette espèce d’aveu que fait Parny qu’il n’est pas maître, à certains momens, de ses idées, et que sa verve l’emporte : c’est qu’en effet, sous sa froideur apparente et sa sobriété habituelle de langage, il avait, jusqu’à la fin, de ces courans secrets et rapides de pensées qui tiennent au poète ; aux saisons heureuses, et quand il ne fait pas encore froid au dehors, cela s’appelle la veine.