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dans leur défaite, et qu’il n’y a pas plus à gagner pour les vainqueurs que pour les vaincus. » Après toutes les raisons données de son admiration, le critique finissait par convenir qu’il se trouvait bien par-ici par-là, dans les tableaux, quelques traits qu’une décence, non pas bégueule, mais philosophique ; et que le goût lui-même pouvaient blâmer ; » il n’y voyait qu’un motif de plus pour placer le nouveau poème à côté de celui de Voltaire, de cet ouvrage, disait Ginguené, « qu’il y a maintenant une véritable tartufferie à ne pas citer au nombre des chefs-d’œuvre de notre langue. » Le succès de la Guerre des Dieux fut tel, que trois éditions authentiques parurent la même année, sans parler de deux ou trois contrefaçons. Les petits vers anodins, comme du temps du Mercure, les madrigaux philosophiques pleuvaient sur Parny pour le féliciter. Quant à la rumeur soulevée chez les rigoristes, Ginguené n’y voyait que des cris suscités, soufflés aux simples par l’adroit fanatisme et par le royalisme rusé. C’est le même critique qui allait bientôt se montrer si sévère dans cette même Décade contre le Génie du Christianisme de son compatriote Chateaubriand. Ainsi, d’honnêtes esprits, de recommandables écrivains ont leurs impulsions acquises, des directions presque irrésistibles, se laissent emporter sans scrupules au courant d’une opinion, sous prétexte qu’elle est la leur[1].

L’année même où parut la Guerre des Dieux, et qui fut celle où s’exhalait le dernier soupir du Directoire, vit paraître une série de publications de même nature qui montrent à quel point la littérature alors n’avait pas moins besoin que la société d’un 18 brumaire, je veux seulement dire de quelque chose d’assainissant et de réparateur. C’est à cette date de l’an VII que naquirent aussi les Quatre Métamorphoses de Lemercier ; les Priapeia de l’abbé Noël n’avaient précédé que de quelques mois (an VI) ; je mentionne à peine le Poète de Desforges, et je passe sous silence le De Sade ; mais une simple liste des ouvrages publiés en cette fin d’orgie est parlante et déclare assez le progrès d’une contagion dont les hommes honorables n’avaient plus toujours la force de se préserver. Parny lui-même autrefois, dans un joli dialogue qu’il avait trop oublié, et qui eût été ici bien plus à propos, avait pu dire :

Quel est ton nom, bizarre enfant ? – L’Amour. –
Toi l’Amour ? – Oui, c’est ainsi qu’on m’appelle. –

  1. Voici encore, si l’on est curieux de suivre l’engagement, la Décade, an VIII, troisième trimestre, p. 554, et quatrième trimestre, p. 47.