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plus timorés, plus inconséquens ou plus sensibles, l’avoir trouvée en définitive trop chèrement achetée : la ligné littéraire qu’il y suivit invariablement atteste assez qu’elle comblait à certains égards ses vœux encore plus qu’elle ne décevait ses espérances. On raconte qu’il avait composé un poème sur les Amours des reines de France, et qu’il le brûla par délicatesse à l’époque où ce poème aurait pu, en tombant entre des mains parricides, devenir une arme d’infamie contre d’illustres victimes. L’esprit humain enferme de telles contradictions et de telles partialités qu’au moment où, par un sentiment généreux, Parny jetait au feu son poème galant, sur les reines de France, parce qu’alors on les égorgeait, il se mettait à composer à loisir et sans le moindre remords cet autre poème où il houspillait, selon son mot, les serviteurs de Dieu, tandis qu’ils étaient bien houspillés en effet au dehors, c’est-à-dire égorgés aussi ou pour le moins déportés. Nous touchons ici à son grand crime, à son tort vraiment déplorable, irréparable et qui souille une renommée jusque-là charmante. Ah ! que Parny n’est-il mort comme son ami Bertin au sortir de la jeunesse, à la veille des tempêtes sociales qui allaient soulever tant de limon ! On se prend pour lui à le regretter. Quel gracieux souvenir sans tâche il eût laissé alors, et quel libre champ ouvert au rêve ! Cet aimable éclat s’est à jamais terni. Je ne crois faire, dans tout ceci, aucun puritanisme exagéré, aucune concession à des doctrines et à des croyances qu’il n’est pas nécessaire d’ailleurs de partager soi-même pour avoir l’obligation de les respecter dans la conscience de ses semblables, et surtout pour devoir ne pas les y aller blesser mortellement, lascivement et par tous les moyens empoisonnés. Bussault a très bien dit de la Guerre des Dieux que ce poème figurera dans l’histoire de la Révolution, encore plus qu’il ne marquera dans celle de la littérature, et à ce titre il réclame quelque considération sérieuse. Parny le composa depuis l’an III environ jusqu’à l’an VII, époque de la publication ; dans l’intervalle, divers morceaux et même des chants tout entiers avaient été insérés dans la Décade, principal organe du parti philosophique. Au moment de l’apparition du volume, Ginguené, ancien camarade de collége de Parny, mais poussé surtout par son zèle pour la bonne cause, donna dans la Décade jusqu’à trois articles favorables[1], analyses détaillées et complaisantes, dans lesquelles il étalait le sujet et préconisait l’œuvre : « L’auteur, disait-il, l’a conçue de manière que les ans (les dieux) sont aussi ridicules dans leur victoire que les autres

  1. Voir Les numéros du 30 pluviôse, du 10 ventose et du 10 germinal an VII.