Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/824

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parny ne saura pas remplir ; car, s’il eut en lui du ramier, ce ne fut certes pas du ramier sauvage, et son vol ne s’éleva jamais si haut ; on peut douter que, dans sa paresse, il ait songé à gravir au-delà des trois petits bassins. Quoi qu’il en soit, et quoique lui-même il ait trop négligé de nous faire admirer en ses vers cette charmante solitude, dont il à parlé en un endroit assez légèrement[1], c’est là, c’est à l’entrée que la nature plaça son nid mélodieux, et jeune, de retour dans l’île à l’âge de vingt ans, surtout vers la fin de son séjour, aux heures inquiètes où l’infidélité d’Éléonore le désolait, il dut quelquefois promener vers ces sentiers écartés ses rêves, ses attentes ou ses désespoirs de poète et d’amant[2].

A l’âge de neuf ans, Parny fut envoyé en France et placé au collége de Rennes ; il y fit ses études avec Ginguené, lequel plus tard a publiquement payé sa dette à ses souvenirs par une agréable épître de 1790, et par son zèle à défendre la Guerre des Dieux dans la Décade. Le jeune créole, à peine hors des bancs, trahit son caractère vif, enthousiaste et mobile ; il songea d’abord, assure-t-on, à prendre l’habit religieux chez les Pères de la Trappe, et il finit par entrer dans un régiment. Venu à Paris, à Versailles, il y rejoignit son compatriote et camarade Bertin, qui sortait également des études ; ils se lièrent étroitement, et dans ces années 1770-1773 on les trouve tous deux membres de cette joyeuse et poétique confrérie qui s’intitulait l’Ordre de la Caserne ou de Feuillancour : « Représentez-vous, madame, écrivait

  1. Dans une lettre à Bertin, de janvier 1775.
  2. George Sand a célébré et, s’il en était besoin, poétisé, à la fin d’Indiana, le site magnifique du Bernica ; c’est au bord de ce ravin, au haut et en face de la cascade, que l’éloquent romancier dispose la scène, le projet de suicide de Ralph et d’Indiana ; je ne répondrais pas qu’il n’y ait quelque fantaisie dans une description faite ainsi par ouï-dire. Voici quelques vers dont on me garantie l’exactitude et qui ont l’avantage d’être nés sur les lieux ; on y reconnaît tout d’abord, à l’accent, l’école qui a succédé à celle de Parny :

    Ondes du Bernica, roc dressé qui surplombes,
    Lac vierge où le cœur rêve à de vierges amours,
    Pics où les bleus ramier et les blanches colombes
    Ont suspendu leur nid comme aux créneaux des tours ;
    Roches que dans son cours lava le flot des âges,
    Lit d’un cratère éteint où dort une eau sans voix,
    Blocs nus, ondes sans fond, site âpre, lieux sauvages,
    Salut ! salut à vous, etc…
    (LACAUSSADE)

    Enfin, nous citerons encore la riche peinture de cette même vue, d’après nature, par M. Théodore Pavie (Revue des Deux Mondes du 1er février 1844, p. 438.)