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escadre ennemie ne saurait tenter de forcer qu’en passant à portée de pistolet des batteries de terre : néanmoins, avec les progrès qu’a faits l’artillerie depuis vingt ans, on pourrait établir sur la côte et sur la digue des batteries dont les feux se croiseraient sur toute l’étendue de la rade. Un système de défense plus complet consisterait à établir, en travers de chacune des deux entrées de la rade, des forts reposant sur des îlots artificiels ; mais la dépense serait considérable, la profondeur de la basse mer allant jusqu’à seize mètres. Tels seraient les côtés faibles de la rade de la Bassure. Sans chercher a les atténuer, il est permis de remarquer ici que la valeur d’un établissement naval tient encore plus à sa position géographique qu’à ses qualités propres. Les rades les plus sures sont sans aucune importance quand elles ne sont pas sur les routes ordinaires de la navigation ; la Sardaigne, la Grèce, en possèdent plusieurs qui sont dans ce cas ; la moindre anse acquiert, au contraire, une valeur inestimable quand elle donne prise sur un ennemi, ou ménage un refuge dans des parages dangereux, témoin Gibraltar, que personne ne daignerait occuper s’il était sur une mer ouverte. Si ces considérations sont fondées, les avantages de position de l’établissement de Boulogne peuvent lui faire pardonner quelques-uns de ses défauts intérieurs. L’utilité d’une rade se mesure à la quantité de navires qu’elle reçoit, à la nature des dangers dont elle les préserve, et aux échecs dont elle menace l’ennemi ; sous ce triple rapport, celle de la Bassure aurait, malgré ses imperfections, peu de comparaisons à redouter.

En tout état de cause, il resterait à rendre le chemin de fer de Boulogne accessible à mer basse, et ce ne serait point chose aisée. Dans le système de l’établissement de la digue, on pourrait construire, à l’abri qu’elle donnerait, un embarcadère sur lequel se dirigerait un embranchement de rails : ce serait une solution simple et peu dispendieuse, si ce n’est parfaite, de la difficulté. La digue elle-même exercerait peut-être une influence heureuse sur l’état de la plage à l’ouverture du chenal du port. Des courans de trois à quatre milles à l’heure s’établissent aujourd’hui du sud au nord par le flot, du nord, au sud par le jusant, entre la Bassure et la côte. La résistance de la digue les fortifierait et les pousserait probablement vers la terre ; elle déterminerait en ce cas, comme il est arrivé à Cherbourg, de légères érosions de la plage, et l’eau viendrait chercher les jetées, ce qui serait bien préférable à l’allongement de celles-ci. De nombreux emplois de ce dernier moyen ont été faits dans nos ports de la Manche et dans ceux des Pays-Bas : à Dieppe, à Dunkerque, à Ostende, à Helvoet-Sluys, il a reculé les ob-