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ont raison d’ouvrir de tous côtés des abris à leur immense commerce maritime, et nous savons, sans qu’ils prennent la peine de le rappeler, que c’est un caractère commun à toutes les entreprises navales bien conçues que ce qu’elles ont de bon pour la paix est en même temps une force pour la guerre. Quand l’amirauté a chargé des commissaires choisis parmi les militaires, les marins et les ingénieurs les plus expérimentés, « de visiter la côte entre l’embouchure de la Tamise et Selsea-Bill, d’examiner les ports intermédiaires sous le point de vue de leur aptitude à devenir pour les bâtimens qui naviguent dans la Manche des abris contre les tempêtes, et pour la marine marchande des lieux de refuge contre des croisières ennemies, mais plus spécialement à devenir en temps de guerre des stations de navires à vapeur armés pour la protection du commerce anglais dans cette partie du canal » (Ordre du 25 juillet 1839 ) ; quand il a été rendu compte à la chambre des communes de l’exécution de ces instructions (5 juin 1840), personne en France n’a songé à faire une observation sur ces combinaisons. Si l’on n’avait pas à notre égard la même discrétion en Angleterre, ce ne serait pas une raison de renoncer à des choses bonnes pour notre pays, et d’oublier notre histoire. Dans toutes nos guerres avec les Anglais, Boulogne a été un des principaux objets de leurs attaques ; il n’en pouvait pas être autrement ; un point vulnérable situé en face de leurs plus formidables arsenaux devait recevoir leurs premiers coups. La ville a triplé depuis trente ans, et l’établissement du chemin de fer lui promet une prospérité dont son passé n’autorisait pas l’espérance. Est-ce lorsque la proie devient plus riche, lorsque l’application de la vapeur à la navigation a multiplié les moyens d’agression, qu’il faut épargner sur les moyens de défense ?

Mais revenons à la digue de la Bassure.

En raison de la largeur de ses entrées, cet établissement sera plus propre aux opérations de la paix qu’à celles de la guerre. Comme rade de commerce, il remplirait parfaitement sa destination. En effet, les vents du nord et du sud, auxquels il serait ouvert, ne sont jamais dangereux à Boulogne ; les vents d’ouest y pousseraient les navires, et il deviendrait, par l’extrême facilité de son accès, par l’affranchissement des droits de relâche si élevés dans les ports anglais, le rendez-vous général des bâtimens que les vents contraires retiennent si souvent dans la Manche. Comme station militaire, il laisserait quelque chose à désirer : la distance de la digue à la côte serait de près de 4,500 mètres du côté de Boulogne, et de 3,500 de celui d’Ambleteuse ; cela ne ressemble malheureusement que de loin au goulet de Brest ou aux passes de Cherbourg, qu’une