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Ce que nous avons à lui envier sans compensation, ce que nous devrions nous appliquer sans relâche à nous approprier, c’est la justesse de tir de son infanterie. Il n’y a sous ce rapport aucune comparaison entre celle-ci et la nôtre. Le fantassin anglais tire à la cible trois cents balles dans l’année ; le nôtre, j’excepte les corps d’élite, n’en tire pas plus de trente, et si, après cela, l’on tient compte du sang-froid et de l’aplomb que donne la durée du service, on s’expliquera des succès dont la mémoire pèse douloureusement sur nos cœurs. Ce ne sont pas les coups qui partent, ce sont les coups qui portent qui font le gain des batailles, et l’adresse des soldats vaut mieux que le nombre. C’est par là qu’à Waterloo, dans ses positions admirablement choisies, l’infanterie anglaise a pu, avec deux rangs, tenir tête à la nôtre, qui en avait trois. On ne saurait remettre trop souvent sous les yeux de l’armée et de la nation des défauts qu’il est facile de corriger. Il est d’autant plus indispensable de donner à nos troupes la justesse de tir, que nous ne pouvons ni adopter le service à vie, ni élever les tailles du contingent : l’un nous est interdit par notre état social, l’autre par l’état physique de notre population. Un heureux dédommagement nous est offert dans l'adresse naturelle de nos hommes, dans leurs sentimens d’émulation ; il n’en est pas au monde de mieux disposés à devenir excellens tireurs, et nous serions coupables de ne pas cultiver un pareil moyen de supériorité. L’Afrique serait depuis long-temps soumise, si nos soldats étaient, sous ce rapport, aussi exercés que les Anglais. Trois cents cartouches valent 15 francs : pour les donner à chacun de nos deux cent mille hommes d’infanterie, il en coûterait trois millions par an. Quelle dépense militaire est plus efficace que ne le serait celle-là ? Doubler les effets du feu d’une troupe, c’est bien mieux que d’en doubler l’effectif.

Je n’ai vu à Douvres que de l’infanterie et une compagnie d’artillerie. Les corps de cavalerie que j’ai rencontrés ailleurs m’ont paru parfaitement beaux ; ils sont surtout magnifiquement montés ; mais les soldats n’ont pas la tournure martiale et dégagée des nôtres, et dans un combat à l’arme blanche, le rapport des coups reçus serait peut-être l’inverse de celui qui s’établirait d’infanterie à infanterie. On dit que M. le duc de Wellington professe une estime particulière pour la cavalerie française qu’il lui reproche seulement d’être montée trop bas, et prétend qu’environnés de peuples plus riches que nous en chevaux, nous devrions nous attacher davantage à compenser par la perfection de cette arme l’infériorité du nombre. Les moindres observations d’un si judicieux adversaire méritent d’être soigneusement