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force et des causes de notre faiblesse, sur le point où le contact est le plus fréquent entre la France et l’Angleterre. Sans mettre dans des observations d'autre ordre que celui dans lequel les objets se sont présentés, sous mes pas, je conduirai successivement le lecteur à Calais, à Douvres, à Folkstone, à Boulogne, sur la baie de la Canche ; je ferai passer sous ses yeux les circonstances qui affectent le plus particulièrement l’état matériel des rapports entre les deux pays et les conditions de notre établissement maritime dans ces parages ; mais l’influence dominatrice du voisinage de Londres sera certainement ce qui le frappera le plus : c’est une force dont on ressent les effets sans en aller toucher le foyer, et en reconnaissant sans aucun détour qu’il y aurait folie à prétendre la balancer, nous devons nous fortifier sur ce rivage de manière à profiter de tout ce qu’elle a de bienfaisant, à nous mettre à l’abri de ce qu’elle a d’hostile.

L’adoption du tracé par Boulogne a renversé bien des espérances et porté un profond découragement dans une partie de la population de Calais ; elle n’a pourtant fait que sanctionner les effets de circonstances irrésistibles.

Avant la révolution, les relations entre la France et la Grande-Bretagne étaient exclusivement établies par Calais. A la paix continentale, tout ce qu’il y avait en Angleterre d’opulent, d’ennuyé, d’affamé de voyages sur le continent, a débordé sur cette ville. Les habitudes de locomotion rapide d’aujourd’hui n’étaient point alors prises ; la malle, qui franchit en moins de dix-sept heures la distance de Paris à Calais, n’en employait pas moins de trente-huit en 1815, de vingt-sept en 1820. On arrivait fatigué d’une marche lente sur une route inégale, ou d’une traversée pénible et contrariée sur un bâtiment à voile. Nul voyageur ne passait à Calais sans y coucher, et si les vents étaient contraires, force était d’attendre qu’ils fussent changés. Le Calais de ce temps était une opulente auberge sur laquelle tombait une pluie de guinées. L’amélioration des routes, de la navigation, a progressivement abrégé la durée des stations : les princesses d’Angleterre attendent aujourd’hui sur le paquebot qui les amène les chevaux de poste qui vont les entraîner, et les chemins de fer sont à la veille de diminuer encore le peu de motifs de faire halte qui restent aux princesses et aux commis-voyageurs. Cette révolution dans les habitudes aurait suffi pour imprimer un mouvement rétrograde à la prospérité de Calais ; elle n’est pas venue seule. Avec des bâtimens à voile, les vents d’ouest, qui soufflent les deux tiers de l’année et battent perpendiculairement la côte de Boulogne, mettaient un obstacle insurmontable à