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des hommes politiques. Pourquoi l’administration tarde-t-elle à se prononcer ? Parce que, soit qu’elle se décide dans un sens ou dans un autre, elle est exposée à rencontrer devant sa décision un député conservateur qui pourra, si elle le blesse, s’en venger au scrutin. On dira que cela prouve les inconvéniens du régime représentatif ; non : cela prouve tout simplement la faiblesse du ministère. Que les députés soient exigeans, indiscrets ; qu’ils fassent irruption dans les bureaux, qu’ils y témoignent des prétentions excessives, l’administration n’en doit pas moins suivre la marche commandée par les affaires. Fort ou faible devant les chambres, un ministère doit avant tout administrer. Il manque à ses devoirs, s’il décline sa responsabilité.

Le ministère, poursuivi par des solliciteurs impatiens, se résigne de temps en temps à faire un choix ; mais il n’a pas toujours la main heureuse. Que serait-ce s’il pouvait toujours faire ce qu’il veut ? Heureusement, les choix arbitraires du pouvoir rencontrent souvent de légitimes obstacles dans la force même de nos institutions administratives, et surtout dans l’indépendance des corps judiciaires. Lorqu’un ministre, aveuglé par des intérêts égoïstes, ose violer des droits acquis, des traditions long-temps respectées, il se trouve des voix courageuses qui sortent du sein même de l’administration pour s’élever contre lui, et l’arrêter dans ses projets par la menace d’une opposition publique. Nous connaissons plusieurs nominations étranges qui ont ainsi échoué dans ces derniers temps par suite des honorables résistances qu’elles ont soulevées. Le ministère nous saura gré sans doute de ne pas publier là-dessus ce que nous savons. La seule chose que nous nous permettrons de lui dire, c’est qu’en considérant certains choix qu’il a voulu faire, et que des réclamations énergiques ont empêchés, choix ridicules, préférences absurdes, auxquelles il a voulu sacrifier les convenances et la justice, on est porté nécessairement à lui refuser cette foi robuste dans sa destinée, et cette tranquillité dédaigneuse qu’il s’attribue. Assurément, pour s’incliner devant de pareilles ambitions, il faut éprouver un grand besoin de recruter des voix dans le parlement, et avoir terriblement peur de la majorité.

Après tout, quand le ministère a-t-il véritablement montré de la confiance et de la résolution ? N’a-t-il pas vécu dans des transes continuelles ? n’a-t-il pas toujours cherché à dissimuler par l’audace du langage l’humilité et les périls de sa situation ? Il est aujourd’hui ce qu’il a toujours été depuis quatre ans, faible, indécis, disposé à faire bon marché de ses propres opinions, si l’intérêt de sa conservation l’exige, et couvrant cette conduite pusillanime par de grands mots, qui bientôt ne feront plus d’illusion à personne.

Tout bien considéré, que la confiance du ministère soit jouée ou non, l’opposition, si elle exécute fidèlement son rôle, a de belles chances à courir dans la session prochaine. On sait ce que nous entendons par le rôle de l’opposition. A nos yeux, combattre le ministère du 29 octobre, ce n’est pas combattre le parti conservateur ; c’est, au contraire, prendre la défense de ce parti, et venir au secours de ses plus chers intérêts, compromis par