Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/753

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
747
MADEMOISELLE DE LA SEIGLIÈRE.

honnête et simple qu’il s’agissait de rendre complice de l’égoïsme et de la trahison.

Un jour, M. de La Seiglière était plongé dans ces réflexions, lorsqu’il sentit deux bras caressans s’enlacer autour de son cou, et, en levant les yeux, il aperçut, comme un lis penché au-dessus de sa tête le visage d’Hélène qui le regardait en souriant. Par un mouvement de brusque tendresse, il l’attira sur son cœur, et l’y tint longtemps embrassée, en couvrant les blonds cheveux de caresses et de baisers. Lorsqu’elle se dégagea de ces étreintes, Hélène vit deux larmes rouler dans les yeux de son père, qui ne pleurait jamais.

— Mon père, s’écria-t-elle en lui prenant les mains avec effusion, vous avez des chagrins que vous cachez à votre enfant. Je le sais, j’en suis sûre ; ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en aperçois. Mon père, qu’avez-vous ? dans quel cœur, si ce n’est dans le mien, verserez-vous les afflictions du vôtre ? ne suis-je plus votre bien-aimée fille ? Quand nous vivions tous deux au fond de notre pauvre Allemagne, Je n’avais qu’a sourire, vous étiez consolé. Mon père, parlez-moi. Il se passe autour de nous quelque chose d’étrange et d’inexplicable. Qu’est devenue cette aimable gaieté qui faisait la joie de mon ame ? Vous êtes triste ; Mme  de Vaubert paraît inquiète ; moi-même je m’agite et je souffre, parce que sans doute je sens que vous souffrez. Mais pourquoi souffrez-vous ? si ma vie n’y peut rien, ne me le dites pas.

En voyant ainsi la victime s’offrir d’elle-même sur l’autel du sacrifice, le marquis ne se contint plus ; à ces accens si vrais, à cette voix si charmante et si tendre, le vieil enfant fondit en larmes dans le sein d’Hélène éperdue.

— Oh ! mon Dieu ! que se passe-t-il ? de tous les malheurs qui peuvent vous atteindre, en est-il donc un seul qui soit plus grand que mon amour ! s’écria Mlle  de La Seiglière, qui se jeta dans les bras de son père en éclatant elle-même en sanglots.

Quoique sincèrement ému et véritablement attendri, le marquis jugea l’occasion trop belle pour être négligée et l’affaire assez bien engagée pour mériter d’être poursuivie. Un instant, il fut sur le point de tout dire et de tout avouer : la honte le retint, et aussi la crainte de venir échouer contre l’orgueil d’Hélène, qui ne manquerait pas de se révolter au premier aperçu du rôle qu’on lui réservait dans le dénouement de cette aventure. Il se prépara donc encore une fois à tourner la vérité, au lieu de l’aborder de front. Ce n’est pas que cette façon d’agir allât précisément à la nature de son caractère : bien