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M. Smythe place la figure de Walpole dans une débauche de table et celle de Bolingbroke dans un entretien avec ses amis de l’opposition, sir W. Wyndham et Pulteney. A un certain point de vue, M. Smythe a assez bien choisi ses fonds de tableau. On ne pouvait mieux saisir le sensualisme brutal de Walpole, l’aridité de cœur, la petitesse et la bassesse d’instinct de ses amis, qu’en les réunissant dans une grossière orgie. M. Smythe s’est contenté d’indiquer le sujet ; il n’y a mis ni le mouvement du dessin ni la vie de la couleur. L’histoire est plus libérale sur ce point que l’imagination de l’auteur des Historic Fancies ; elle a gardé le souvenir des bruyans scandales de Houghton. Là, dans le magnifique château qu’il s’était fait construire, Walpole rassemblait chaque année, à la saison des chasses, ses alliés des deux chambres. Ces réunions d’automne duraient de six semaines à deux mois. C’était, de la part de l’amphitryon, une profusion et un gaspillage je ne dirai pas de prince, mais de financier, et, dans le troupeau de ses parasites, des scènes de confusion et de désordre qui scandalisaient les meilleurs amis de Walpole. Lord Townshend, un parent, un collègue du premier ministre, quittait par pudeur son manoir voisin de Rainham pendant la durée de ces excès, qu’il appelait des bacchanales. M Smythe a donc pu justifier le dégoût qu’il ressent pour Walpole sans le calomnier ; mais si l’honnêteté des mœurs est la condition de ses sympathies politiques, je ne vois pas pourquoi ses préférences iraient se fixer sur Bolingbroke, à moins qu’à ses yeux la recherche de l’élégance dans le plaisir et le raffinement dans les voluptés ne couvrissent la faute. Lord Bolingbroke ressemble en effet à ces hommes de l’antiquité qui, au milieu des folies païennes de leur conduite, ont gardé des séductions de physionomie dont la perspective historique augmente encore l’attrait. Peu d’hommes, dit Swift dans le portrait qu’il a laissé de Bolingbroke, entrèrent dans la vie avec d’aussi brillans avantages. Il descendait d’une des meilleures familles d’Angleterre, il devait hériter d’un grand patrimoine, il était doué d’une constitution robuste et de l’extérieur le plus gracieux. Tout cela était peu de chose devant les dons de son intelligence, devant la puissance de sa mémoire, la netteté de son jugement, la verve de son esprit, l’abondance de son imagination, la pénétration perçante de ses vues, et la fascination de sa parole. Il avait cultivé ses talens par les voyages et par l’étude Il n’avait jamais négligé celle-ci, même dans l’entraînement des plaisirs, auquel il s’abandonnait avec fougue ardente. Il aimait en effet à mêler les plaisirs aux affaires et à passer pour exceller dans les deux. Aussi prisait-il beaucoup les