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humaine jaillissant parmi ses douleurs et ses joies, du milieu de ses triomphes et de ses misères, vers l’infini que les révélations surnaturelles lui ouvrent au-dessus de la terre et au-delà de la mort : là sont à nos yeux, les grandes inspirations de la poésie religieuse ; il ne faut pas s’attendre à rencontrer celles-là dans le livre de lord John Manners. Lord John Manners n’a pas demandé à la religion ce que les poètes cherchent naturellement en elle, l’ivresse des extases, la magnificence des hymnes, les sanglots s’apaisant dans des prières, les douleurs acceptées par la résignation et consolées par l’espérance. C’est que lord John Manners n’est moins adressé la religion qu’à une institution religieuse : il s’est moins préoccupé de ce qu’il y a d’intime dans la religion que de la forme extérieure qui lui sert d’enveloppe politique en Angleterre. Lord John Manners, et je ne dis pas cela pour déprécier sa tentative, mais pour l’expliquer, a fait surtout une démonstration en faveur de ce que les Anglais appellent l’église établie, the church. Pour lui l’England Trust (l’Espérance de l’Angleterre), c’est l’église. Chez nos voisins (et ne va-t-il pas en être bientôt de même chez nous ?), une manifestation semblable est une manifestation politique, un acte de parti, et tel est le trait original de l’Engliand’s Trust.

Malgré le caractère militant de ce livre, quoiqu’on y trouve plutôt des témoignages en faveur de l’église que les sentimens religieux dans leur pureté désintéressée et dans leur spontanéité, la situation d’esprit dans laquelle lord John Manners l’a écrit se rattache à des circonstances morales où la religion touche en effet à la poésie. C’est une véritable et chaleureuse conviction religieuse qui anime lord John Manners à se porter le champion de l’église ; mais cette ardeur semble s’être rallumée à de poétiques impressions. C’est du moins ce que donne assez clairement à entendre dans ses poésies un ami de lord John Manners, le révérend William Faber, auteur déjà de deux volumes de vers assez distingués, le Cherwell water lily et le Styrian lake. A en juger par ces confessions délicates, l’année 1838 aurait marqué une ère importante et décisive dans la vie psychologique de ces jeunes gens. Ils passèrent l’été de cette année avec plusieurs de leurs amis d’université dans les montagnes et aux bords des lacs de Westmoreland : c’était au milieu des paysages qui ont versé sur la muse de Wordsworth leurs reflets attendris et mélancoliques. « J’y étais venu, dit lord John Manners, pour m’enivrer des enchantemens de la nature, pour y puiser à pleines mains aux vieilles sources les purs breuvages de l’amour. Il y a certainement un charme secret dans ces petits ruisseaux mystérieux ;