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C’est qu’en effet, à travers les pages de ce petit volume, on peut observer plus près de la source, dans la limpidité du premier flot, la pensée inspiratrice des deux amis. Lors John Manners a écrit en vers ; est-ce par ambition littéraire ? Non. Si haute et si grande que soit l’ambition littéraire, lord John Manners a évidemment obéi à une préoccupation qu’il considère comme plus élevée encore. Dans son ode au tombeau de Burns Wordsworth remercie le poète écossais « d’avoir révélé à sa jeunesse comment les vers peuvent dresser un trône royal à une humble vérité. » Si cette brillante image eût été présente à la mémoire de l’auteur de l’England’s Trust, elle eût peut-être effarouché sa modestie ; il eût craint peut-être de n’élever, lui, qu’un piédestal trop humble à des vérités décorées, à ses yeux, d’un caractère sublime. Lord John Manners aura écrit en vers parce que c’est la langue préférée de ces émotions que le cœur aime à laisser librement et sans calcul s’épandre et s’exhaler. La poésie anglaise, on le sait, se prête plus volontiers que la nôtre à cette disposition, à ce véritable besoin du cœur ; elle permet une familiarité de ton qui échappe au théâtral et au guindé, sans tomber dans la vulgarité, une simplicité discrète qui sied à une mélancolie tendre sans afféterie, et méditative sans emphase. Aussi, moins que nous, les Anglais sont-ils exposés à se tenir éloignés de la poésie, dans la crainte délicate de lui faire injure. Puisque je ne dois pas insister sur le caractère littéraire de l’Englands Trust, pourquoi donc le dirais-je pas tout de suite ? Envers cette muse d’accès plus facile, lord John Manners me semble avoir gardé les bienséances par l’observation desquelles on fait en littérature ses preuves de gentilhomme. Lorsqu’on n’a pas mesuré ses efforts à des prétentions plus altières, ce simple mérite n’est-il pas encore un suffisant honneur ?

Une seule pensée anime les poèmes de lord John Manners : c’est une pensée religieuse, mais avec une nuance particulière à l’Angleterre, et qui distingue surtout la jeune école. La poésie de lord John Manners n’est pas précisément, en effet, ce que nous appellerions une poésie religieuse. L’auteur des Martyrs et l’auteur des Harmonies nous ont montré, de façon à ne pas nous permettre de l’oublier, ce que peut être une poésie de cette nature. Depuis le Paradis perdu jusqu’aux Ecclesiastical sonnets, depuis Milton jusqu’à Wordsworth, des œuvres assez nombreuses et suffisamment belles l’ont appris aussi à la littérature anglaise. Les éblouissantes splendeurs des mystères, les sublimes accidens du drame divin d’où le christianisme est sorti, le langage que parlent à l’imagination les rites sacrés, l’ame