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et s’éclaire d’une lumière fantastique ? Alors la queue du diable passe entre les basques de tous les habits et si quelqu’un vous appelle d’un autre nom que le vôtre, vous êtes au pouvoir de l’enfer. Dans les mains de Gozzi, le fantastique, soutenu par la pantalonnade vénitienne prend des proportions énormes. L’auteur a bien l’air de croire à la vertu des paroles cabalistiques par lesquelles l’ame de Tartaglia passe dans le corps du roi, son maître, tandis que l’imprudent monarque s’amuse à entrer dans le corps d’un cerf ; mais il exagère assez les choses pour vous faire entendre que cela n’est pas parfaitement croyable ! Hoffmann, au contraire, est effrayé réellement, et veut vous forcer à partager son épouvante.

Transportez la scène des Contratempi en Allemagne : n’avez-vous pas l’écolier Anselmus, qui ne peut jamais saluer un grand personnage sans renverser une chaise ; le petit Zacharie avec ses transformations ; et le conseiller Tussmann, qui voit une tête de renard sur les épaules de son voisin, l’horloger, et tout ce monde de gens qui se fantasmatise dans les cabarets de Berlin ou de Nuremberg ? Assurément, il est impossible de nier l’originalité d’Hoffmann, mais jusqu’à quel point s’est-il approprié celle de Gozzi ? Combien le poète vénitien l’a-t-il aidé à s’exalter,à se mettre en dehors de lui-même, pour se voir agir, penser et se faire manœuvrer comme les masques de la comédie dell’ arte ? Combien Charles Nodier a-t-il emprunté à Gozzi, qu’il a suivi de près dans ses voyages en Dalmatie ? A quel degré la Fée aux Miettes, Trilby, et tant d’autres ouvrages, sont-ils parens des comédies fiabesques et du chapitre des Contratempi ? Turandot et l’Amour des trois Oranges ont engendré les Tribulations d’un directeur de Spectacle et les articles sur les marionnettes. Néophobus est le neveu de Burchiello et ses diatribes sont venues à Paris avec un bon vent sur la Tartane des influences, long-temps après l’année bissextile 1756.

Tandis que d’autres ont passé leur vie entière dans le fantastique, Gozzi, trop fort pour s’y arrêter, n’y demeure qu’un instant ; il prend la chose comme un badinage, dont son air fâché fait tout le charme, et en conscience le fantastique ne devrait jamais être pris autrement. Le reste est de la folie ou de l’affectation. N’oublions pas surtout que le chapitre des Contratempi est une production du XVIIIe siècle.


IV

C’est une existence heureuse et variée que celle de Gozzi, surtout dans son époque fiabesque. Qui n’a envié le sort du poète comique