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vainqueur. – « Il n’est pas encore temps, dit l’orgueilleuse princesse avec un air de triomphe, vous pouvez éteindre le feu sacré. Si j’ai laissé à cet étranger son espérance, c’était pour mieux me venger en le faisant passer plus cruellement du plaisir à la peine. Ecoutez-moi, tous : Calaf, fils de Timur, je te connais. Sors de ce palais ; cherche ailleurs une autre femme, et apprends jusqu’où va la pénétration de Turandot. » A ces mots, la désolation est générale. Calaf reste sans mouvement. L’empereur pleure ; Pantalon s’arrache les cheveux, et Tartaglia bégaie trois fois plus qu’auparavant. Enfin Calaf, dans le transport de sa douleur, tire son poignard et s’avance jusqu’aux marches du trône : « Tiranna, dit-il à sa maîtresse, ton triomphe est encore incomplet ; mais je vais te satisfaire. Ce Calaf que tu connais, et que tu détestes, va mourir à tes pieds. » Le cœur de la superbe Turandot s’amollit enfin ; elle s’élance au bas du trône, et retient le bras du jeune prince prêt à se frapper, en lui disant avec tendresse :

Viver devi per me ; tu m’ hai vinta.

« Tu dois vivre pour moi ; je suis vaincue. » L’empereur et le divan se remettent bien vite à pleurer de plaisir ; Adelma, seule, voyant que le prince, est perdu pour elle, saisit le poignard tombé des mains de Calaf et veut se tuer ; heureusement elle prononce auparavant un petit discours qui donne le temps à Turandot de s’opposer à son dessein. On se prépare à marier les amans, et la jeune première, qui est une Chinoise du XVIIIe siècle, s’approche de la rampe, regardant le parterre avec des yeux en coulisse pour assurer qu’elle est revenue de ses préventions injustes contre les hommes ; elle déclare qu’elle voit là-bas une réunion de garçons pour qui elle se sent de l’amitié : « Donnez à mon repentir, leur dit-elle, quelque signe bénévole de votre pardon » ; et le parterre applaudit.

On ne peut se le dissimuler, Turandot aurait pour nous le défaut d’âtre un ouvrage puéril. Un de ces spectateurs prosaïques et raisonnables dont Hoffmann avait une si grande horreur serait en droit de trouver que l’empereur est trop faible de céder aux caprices de cette princesse extravagante, et que les grands airs d’une petite fille orgueilleuse mériteraient une bonne correction, et non pas l’honneur de fournir matière à une comédie héroïque. Le reproche ne manquerait pas absolument de vérité ; mais combien y a-t-il dans les vieux sujets tirés de l’antiquité de fables invraisemblables et un peu puériles ? Elles sont consacrées et viennent de la Grèce, au lieu de venir des Arabes. Euripide et Sophocle leur ont fait des vêtemens divins ; mais ajoutez