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on quitte l’école du jour est précisément celui auquel on vient se faire inscrire dans les écoles du soir. En fondant ces classes auxiliaires et en les réservant aux enfans de douze à quinze ans, le conseil municipal n’aurait donc recueilli que ceux qui sans cela vont manquer d’instruction ; et puisqu’il a jugé l’exception opportune pour le quartier de Chaillot, il ne lui en aurait pas coûté beaucoup plus de l’étendre aux dix quartiers dans l’intérêt desquels M. le préfet de police l’avait sollicitée.

Le conseil municipal n’a pas d’ailleurs à s’enquérir des dispositions qui ont ou n’ont pas été prises pour assurer l’exécution de la loi sur le travail des enfans. Le devoir de faire respecter les restrictions que cette loi établit pèse sur d’autres têtes. Ce qui le concerne, lui, c’est de veiller à ce qu’aucune classe de travailleurs, dans quelque circonstance que le sort les ait placées, et quelque soit l’âge auquel ils appartiennent, ne vienne frapper à la porte des écoles sans être admise à l’instant. Il n’y a pas d’institution dont on ne puisse abuser ; mais la possibilité de l’abus est-elle une raison suffisante pour interdire l’usage ? Les écoles du. soir deviennent indispensables aux enfans de douze à quinze ans, qui travaillent durant le jour dans les fabriques ; ne serait-il pas insensé de les condamner à l’ignorance, sous prétexte que l’instruction qu’ils implorent pourrait profiter à des enfans moins âgés qu’eux ? Eh ! pour Dieu, enseignez toujours, et acceptez des écoliers de toutes mains ; le nombre des hommes ayant une éducation quelconque n’est pas tel dans notre société que l’on doive regarder aux titres de ceux qui demandent à prendre leur part de ce bien commun.

Lorsque le travail des enfans dans les manufactures sera réglé sur des bases plus rationnelles, et que les pouvoirs locaux, de concert avec l’état, auront libéralement pourvu aux besoins de l’instruction primaire, ne restera-t-il rien à faire pour donner plus de force à la loi ? Dans ce monde de passions et d’intérêts, les principes ne cheminent pas sans assistance ; si l’on veut qu’ils soient respectés à toute heure, il faut les appuyer de mesures préventives ainsi que de moyens de répression. Toute grande institution a sa police particulière et ses tribunaux ; il en est ainsi de l’administration, de l’université, du clergé lui-même. Pourquoi l’industrie s’affranchirait-elle de la règle générale ? pourquoi l’état, quand il entreprend de sauver les enfans de la classe laborieuse des excès du travail et des suites de l’ignorance, craindrait-il d’invoquer, pour la tutelle qu’il exerce, cette énergie l’organisation ?