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La loi ferme l’atelier et n’ouvre pas l’école : pouvait-on se montrer moins prévoyant et plus inconséquent à la fois ?

M. le préfet de police, dans le zèle sincère qui l’anime, a voulu mettre un terme à ce désordre légal. Frappé de l’abandon intellectuel dans lequel vivaient les jeunes ouvriers de Chaillot, il a d’abord provoqué dans ce quartier pauvre la création d’une école du soir. Bientôt il a senti la convenance d’étendre le même bienfait aux autres quartiers industriels, et il a sollicité le conseil municipal d’établir dix écoles du soir où l’on recevrait spécialement les enfans de douze à quinze ans.

Les intentions du conseil ne sont pas douteuses. Il consacre annuellement un million de francs à doter l’instruction primaire ; la construction des maisons d’école figure en outre pour une somme importante dans son budget ; il a introduit dans l’enseignement le dessin et le chant, et il est à la veille d’y introduire la gymnastique ; en un mot, il dépense beaucoup, et dépense avec discernement La proposition de M. Delessert devait donc éveiller ses plus vives sympathies ; cependant, après une enquête sérieuse dont on a soumis les résultats à une longue discussion, la demande du préfet a été repoussée. Je comprends cette détermination sans l’approuver le conseil municipal de Paris s’est retranché dans le texte et dans l’esprit de la loi sur l’instruction primaire[1]. Il a craint d’énerver l’enseignement diurne en instituant pour les enfans un enseignement du soir : on lui a persuadé que les écoles de jour, les seules où l’instruction se puisse donner sur une grande échelle, seraient bientôt désertées pour ces écoles auxiliaires ; que les parens, ayant la facilité de faire instruire leurs enfans à la dernière heure, ne se gêneraient plus pour les surcharger de travail pendant la journée, et qu’il allait offrir ainsi une prime à cette horrible exploitation de l’enfance qui dégrade physiquement et moralement la population de Paris. Néanmoins, et par exception, le conseil municipal a cru devoir fonder à Chaillot une école du soir exclusivement destinée aux enfans de douze à quinze ans ; encore cette exception est-elle motivée sur l’état misérable de ce quartier, dans lequel aucun instituteur privé ne viendra s’établir.

Je suis loin de présenter les écoles du soir, qu’elles reçoivent des adultes ou des adolescens, comme une institution normale. Après avoir travaillé l’ouvrier a besoin de respirer à l’air libre et de détendre son esprit. Il est bien temps alors de

  1. Quand je parle du conseil municipal, cela doit s’entendre du comité central d’instruction primaire qui représente le conseil.