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manufactures de châles, le seul répit qu’on leur accorde est le temps nécessaire à l’ouvrier pour mettre l’ouvrage en train, ce qui n’arrive pas tous les jours, ni même toutes les semaines. Dans les filatures de coton, les femmes sont employées à rattacher les fils de la mule-jenny à la place des enfans ; les seuls que l’on occupe sont des bobineurs qui se croisent les bras la moitié du jour, mais dont la présence est nécessaire tant que le travail dure, et qui ne reçoivent par conséquent aucune espèce d’enseignement.

En interdisant aux chefs d’atelier d’occuper les enfans de huit à douze ans plus de huit heures par jour, le législateur avait entendu à la fois, ménager leurs forces et pourvoir au soin de leur éducation. Ni l’un ni l’autre objet de la loi ne se trouve rempli. Dans le petit nombre de manufactures où le travail est réduit à huit heures pour cette catégorie d’ouvriers, une assiduité de douze heures continue à être exigée : c’est une trêve qui sert peut-être à développer le corps, mais qui ne profite pas à l’intelligence, et qui ne fait aucune diversion au régime abrutissant de l’atelier. Malheureusement, la plupart des manufactures excluant les enfans de cet âge, ceux-ci n’ont de refuge que l’apprentissage dans les petites fabriques, où le travail est absolument sans limites et l’instruction sans garantie. Ce sont des esclaves qui changent de maîtres, mais dont l’esclavage s’appesantit.

On accusera peut-être les mœurs ; je n’accuse que la loi. Toute réforme doit rencontrer, soulever même des résistances, et il est dans l’ordre que les intérêts privés ne se rendent pas sans combat. Les ouvriers et les fabricans de Paris témoignent, je le sais, plus que de l’indifférence pour les mesures destinées à régulariser le travail des enfans dans les manufactures ; leur mauvaise volonté éclate en toute circonstance, et se signale tantôt par un refus de concours, tantôt par une opposition déclarée. Il fallait le prévoir, et ne pas donner aux opposans, par les combinaisons de la loi, un prétexte auquel ils pussent s’accrocher. La limite, de huit heures assignée au travail des plus jeunes enfans ne répond à aucune division de la journée, et de là son impossibilité pratique. On peut donner à un ouvrier deux auxiliaires se partager ainsi la journée en deux moitiés égalés : c’est le système des relais ; mais si l’ouvrier n’a qu’un enfant pour l’assister, la durée du travail sera nécessairement pour l’enfant la même que pour l’ouvrier.

L’Angleterre, après bien des tâtonnemens, vient d’adopter le système des relais ; le dernier acte sur le travail des enfans rend ce système obligatoire, en décidant que les enfans ne seront pas employés