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L’ouvrier dans la capitale fait la loi au fabricant, et l’enfant fait la loi à l’ouvrier. On ne saurait croire à quel point ces embryons de travailleurs sont devenus nécessaires. « Il n’y a que trois mille lanceurs à Paris, me disait un ouvrier en châles, et nous sommes à leur merci. » Dans les manufactures de papiers peints, on a beaucoup de peine à se procurer les jeunes auxiliaires appelés vulgairement tireurs. Ceux-ci, après avoir traité de leur salaire, entrent dans l’atelier, travaillent souvent comme par grace une demi-journée et se retirent ensuite : ouvriers et maîtres m’ont déclaré qu’un imprimeur sur papier changeait souvent de tireur jusqu’à trois fois par jour. Cette inconstance d’humeur et cette irrégularité de conduite n’empêchent pas les jeunes élèves de la manufacture parisienne de trouver de l’emploi quand ils le veulent ; les fabricans, ayant besoin d’eux les acceptent malgré leurs défauts.

Mais ce qui aggrave, principalement les, difficultés, c’est que le manufacturier, que le législateur a rendu responsable de la durée du travail et du degré d’instruction, n’a pas de rapport direct avec les enfans employés dans ses ateliers. L’enfant dépend, non du maître qui le reçoit, mais de l’ouvrier auquel il sert d’auxiliaire ; celui-ci le connaît seul et le choisit : le fabricant, s’il voulait faire ce choix lui-même, ne saurait où le trouver. Le salaire de l’enfant est imputé en entier sur le salaire de l’ouvrier, qui, travaillant à façon, rémunère son aide selon la valeur de l’assistance qu’il reçoit de lui. C’est l’ouvrier qui fait le contrat et qui le résilie ; le maître n’a pas à intervenir. Dans ces arrangemens bizarres, la seule prérogative que le fabricant se réserve, c’est la police des ateliers, et quelle police encore ! Avant la loi du 22 mars, les chefs de manufacture ne connaissaient pas même de nom les enfans qui travaillaient chez eux ; les fabriques de Paris étaient des espèces d’hôtelleries où, moyennant un prix de façon débattu, venait occuper un établi qui voulait. Depuis que la loi le commande, il faut bien que le manufacturier cherche du moins à savoir quels sont ceux qui peuplent son usine ; mais cela se fait généralement avec la plus grande négligence. Il se passe quelquefois huit jours avant que l’ouvrier donne au fabricant le nom de l’enfant ou des enfans qu’il engagés : ce nom est alors couché sur un registre ; mais on attend communément la visite de l’inspecteur pour demander un livret a la préfecture et pour exiger, soit la fréquentation de l’école, soit un certificat qui constate le degré d’instruction.

Je n’ignore pas qu’en abandonnant aux ouvriers le soin de traiter avec les jeunes apprentis, les chefs de manufacture simplifient la gestion