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surveillance de l’état aurait dû précéder la mise à exécution de la loi. Il paraît que l’on n’a rien fait de semblable ; l’administration s’en est rapportée aux renseignemens recueillis à la hâte par les commissaires de police, et de là l’inexactitude des listes que chaque inspecteur a reçues. Ceux qui prenaient leurs fonctions au sérieux ont dû recommencer le travail eux-mêmes, et aller de porte en porte pour constater quelles étaient les manufactures qui comptaient plus de vingt ouvriers et celles qui en comptant moins de vingt, pouvaient décider leur juridiction.

Cette première difficulté aplanie, et la reconnaissance du terrain étant faite, il restait à déterminer dans quelle mesure les prescriptions de la loi se modifieraient selon le caractère propre à chaque industrie. Le législateur avait laissé sur ce point à l’administration une latitude absolue ; ’administration n’en a point usé : elle s’est bornée à déléguer aux inspecteurs le droit de prendre en considération des cas individuels, et elle n’a jamais procédé par voie de règlement. Soit défaut d’expérience, soit absence de volonté, le pouvoir discrétionnel que les chambres avaient entendu établir comme le correctif nécessaire de la loi du 22 mars demeure encore aujourd’hui sans emploi.

Quelle peut être l’utilité de l’inspection ainsi livrée à elle-même ? L’administration supérieure, en apportant un concours purement passif à cette grande œuvre, n’encourage-t-elle pas sans le vouloir la résistance des intéressés ? Faut-il beaucoup attendre du zèle de fonctionnaires amateurs qui ont en main une loi défectueuse, devant eux des obstacles sans nombre et derrière eux un gouvernement à peu près indifférent ? En un mot, la réforme de 1841 a-t-elle complètement échoué dans la capitale, ou bien, la force des principes suppléant à la négligence des hommes, est-elle par quelque côté en voie de succès ? Voilà ce qu’il m’a paru important de rechercher. Un arrondissement d’inspection était cité à Paris comme présentant le type des résultats possibles ; j’ai accepté la proposition que l’on venait me faire d’en visiter les manufactures et les ateliers principaux.

Ce district manufacturier embrasse le quartier Saint-Antoine et celui des Quinze-Vingts, c’est-à-dire le faubourg le plus industrieux et le plus nécessiteux à la fois. Il y a là une population de quarante à cinquante mille ames, avec six à sept mille pauvres inscrits. Les ouvriers habitent les rues sales et étroites qui longent le canal, ou les taudis groupés autour des rues artérielles du faubourg Saint-Antoine, de Charonne, de Montreuil et de Charenton. Les fabriques et les usines, recherchant l’espace, s’étagent sur les dernières pentes des coteaux qui dominent Paris de ce côté. C’est l’histoire de toutes les