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faut surveiller ces derniers, par eux la police peut découvrir des secrets importans ; elle doit aussi fondre à l’improviste chez les libraires et les étalagistes ; enfin, l’administration doit diminuer successivement le nombre des imprimeurs. Cependant les bibliothèques privées pourraient rester l’asile des ouvrages impies ; on tachera de corriger un inconvénient aussi grave en établissant qu’aucun livre ne sera vendu après décès. sans un contrôle et un droit. Le gouvernement fera aussi acheter chez les libraires tous les exemplaires des œuvres de Voltaire ; on en chauffera, s’il est possible, les bains Vigier. Pour les écrivains contemporains, M. Liautard a différentes recettes, des places, de l’or, ou la prison : eux-mêmes choisiront et décideront de leur sort. M. Liautard n’est pas cruel pour les gens dociles ; il ne se montre impitoyable que dans les cas de récidive. Voilà cependant où le zèle politique emportait un prêtre honorable, dont les vertus, et l’esprit élevé ont été loués justement par tous ceux qui l’ont pratiqué, tant il est vrai qu’en dehors des voies du sanctuaire il n’y a pour le sacerdoce que des occasions de chute. Il est juste, au reste, de remarquer qu’en 1827 M. l’abbé Liautard était revenu à des idées de modération politique ; il voulait, pour succéder à M. de Villèle qu’il n’aimait pas, et qui d’ailleurs était alors impossible, un ministère pris dans les deux nuances du parti royaliste, et modifié par un pair et par un député du centre gauche. À cette époque, M. Liautard s’apercevait enfin du mal que faisaient à la monarchie les exagérations ardentes, et nous trouvons dans une de ses lettres un mot piquant et judicieux sur M. de Lamennais, qui, disait-il, jette tout son feu, pour n’en plus posséder bientôt. Trois ans plus tard en effet, c’était un autre feu qui commençait à brûler dans l’ame du prêtre breton.

M. de Villèle, dès son avènement au ministère, avait divisé profondément le parti royaliste. Loin de témoigner le désir de placer dans des postes importans les royalistes les plus notables, comme MM. Delalot, de Berthier, de Labourdonnaye, il s’était plutôt éloigné d’eux, et il avait cherché sa force ailleurs que dans leur appui. M. de Villèle avait une antipathie naturelle non-seulement pour l’exaltation dans les sentimens, mais pour l’indépendance dans les idées, et il n’aimait que les royalistes qui, soumettant leur raison à la sienne, exécutaient ses plans sans les discuter. Cependant il ne put éviter d’appeler près de lui au pouvoir M. de Chateaubriand, qui, outre l’incomparable éclat de sa renommée d’écrivain, s’était peu à peu approché du ministère par l’ambassade de Londres et par sa participation au congrès de Vérone. Cette association ne dura pas dix-huit mois ces deux