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ses fruits. » Ne semblerait-il pas un autre Mardochée disant à une nouvelle Esther :

Dieu parle, et d’un mortel vous craignez le courroux !

Nous ne saurions encourir aucun blâme de tracer en passant ces détails, puisque nous les trouvons consignés dans les papiers d’un prêtre publiés par un autre prêtre[1]. Nous ignorons si en consultant les souvenirs de l’ancienne monarchie l’abbé Liautard avait devant les yeux le père La Chaise et Mme de Maintenon, mais il est évident, par sa conduite et par ses discours, que les intrigues dont il était, pour ainsi parler, le directeur n’éveillaient dans sa conscience aucun scrupule. C’est ainsi que de 1821 à 1824 on imitait de fort loin aux Tuileries le Versailles de la fin du XVIIe siècle.

Le nom de M. Liautard appartient à l’histoire de la presse légitimiste ; il lui appartient par la haine et par les projets que M. Liautard nourrissait contre l’indépendance de la pensée. Mettre l’éducation de toute la jeunesse entre les mains du clergé et détruire la presse, telles étaient les deux idées dont il poursuivait sans relâche l’exécution auprès du gouvernement royal. L’Université n’eut pas, sous la restauration, d’adversaire plus persévérant et plus vif : les défenseurs de ce grand corps pourront puiser d’utiles renseignemens dans les papiers de M. Liautard ; ils y verront qu’aux yeux du fondateur du collége Stanislas, les petits séminaires sont un glaive à deux tranchans, qu’ils sont tout à la fois des collèges déguisés et des écoles préparatoires aux études sacerdotales. C’était surtout par les petits séminaires que M. Liautard proposait au gouvernement de régénérer l’éducation. Par le clergé, tout est en vos mains, ne cessait de répéter aux royalistes M. Liautard ; ne voyez dans le clergé que des auxiliaires dévoués. Il pensait aussi qu’avec quelques millions bien répartis doivent s’aplanir tous les obstacles qui s’opposaient au développement des bonnes œuvres « C’est ainsi, nous citons ici textuellement, que vous préviendrez et rendrez vaines pour une longue suite de siècles les tentatives des Luthers nouveaux, des nouveaux Voltaires, de ces hérésiarques, de ces philosophies horriblement nuageuses qui ne paraissent dans le monde que pour la ruine et le malheur des intelligences et des ames. » Quant à la presse, M. Liautard conseillait au gouvernement de faire une guerre savante aux imprimeurs, aux libraires, aux étalagistes et aux colporteurs : il

  1. Mémoires de l’abbé Liautard, recueillis et mis en ordre par M. l’abbé A. Denys.