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on pensait autour de lui qu’il avait plus de zèle que d’adresse, et de son côté l’ambitieux vicomte put crier à l’ingratitude. Mais revenons en 1821. À cette époque, il s’agissait de reconstruire par ses fondemens la fortune du parti royaliste, en changeant le cœur du roi. Pour atteindre ce but, on revint aux traditions de la cour de France ; on donna au roi une amie. Quand Mme la comtesse du Cayla vit pour la première fois Louis XVIII, c’était à propos d’affaires de famille dans lesquelles, d’après les conseils de ses amis, elle réclamait la haute intervention du roi. Bientôt ce fut pour des affaires politiques qu’on travailla à établir la faveur de la comtesse auprès du monarque, qui prit facilement goût à la conversation et à la grace d’une femme aimable et douce. Mme du Cayla était conduite et appuyée dans cette situation délicate par M. le vicomte de La Rochefoucauld, qui lui garantissait la bienveillance de Monsieur. Seulement il fallait la mériter en rapprochant les deux frères. Mme du Cayla sut y réussir, et dès-lors elle put compter sur la protection de M. le comté d’Artois, qui la défendit même contre quelques attaques parties de la petite cour du pavillon Marsan. Après ce premier succès, on demanda de nouveaux efforts à la comtesse ; il fallait convaincre Louis XVIII de la nécessité de confier le pouvoir aux chefs du parti royaliste. C’était cette fois trancher ouvertement de la femme politique, et Mme du Cayla était effrayée de tant d’audace. Dans une démarche aussi importante, elle fut encouragée par un prêtre habile, l’abbé Liautard, qui possédait toute la confiance de M. de La Rochefoucauld. Du fond du collège Stanislas, M. Liautard exerçait sur les intrigues et les déterminations du parti royaliste une sorte de puissance occulte. Dans le parti, l’ardeur de son dévouement et de ses convictions n’était mise en doute par personne ; beaucoup estimaient ses lumières, plusieurs craignaient ses témérités. C’est plein d’une sincérité fanatique que l’abbé Liautard confondait la cause de la religion avec celle du parti royaliste ; à ses yeux, pour anéantir les principes de la révolution, pour renverser les libéraux, pour ôter toute influence aux doctrinaires comme M. Royer-Collard, et aux politiques modérés comme M. Pasquier, tout devenait légitime, tout s’épurait, les moyens les plus violens comme les plus profanes. Après avoir adressé une longue lettre à Louis XVIII où elle avait fidèlement exprimé tout ce qu’on lui avait suggéré, Mme du Cayla tremblait à la pensée de revoir le roi. Pour la rassurer, M. Liautard lui écrivait : « Vous serez grondée, madame ; baissez la tête, humiliez-vous profondément, donnez-vous tous les torts possibles ; l’orage passera, la vérité restera, et la vérité portera