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devenir le point central d’une explication systématique des évènemens. Toute révolution témoigne que le peuple chez lequel elle éclate est arrivé à mépriser son histoire et son passé. Ce mépris inexorable provoque à son tour un enthousiasme qui ressemble au fanatisme et dont les vieilles institutions sont l’objet. C’est ce dernier sentiment qui fut, pour ainsi parler, en 1796, la muse de M. de Bonald, et cette fois la prédilection de l’écrivain ne s’attacha seulement à telle ou telle partie de notre ancien ordre social ; M. de Bonald embrassa l’ensemble pour l’élever à la valeur d’un système parfait, de la vérité absolue.

Le gouvernement monarchique royal, pour employer les expressions même de l’auteur, voilà le type que lui fournit le passé de la France et auquel il compare toutes choses. Il tire de notre ancienne histoire des principes dont il s’arme pour contrôler les institutions et les annales des autres peuples. La science historique de M. de Bonald en 1796 était assez restreinte. Quand il parle de la monarchie française, il cite presque toujours le président Hénault, et c’est appuyé uniquement sur l’autorité de Bossuet qu’il juge les Juifs, les Grecs, et les Romains. Le mérite de M. de Bonald n’est donc pas l’érudition, son originalité est tout entière dans la logique mordante et forte avec laquelle il commente les faits que lui livrent deux ou trois historiens. M. de Bonald institue aussi volontiers des discussions avec Montesquieu ; il aime beaucoup à croiser le fer avec l’auteur du Contrat social. C’est un hardi lutteur.

« Je reconnais en politique une autorité incontestable, qui est celle de l’histoire, » dit à la fin du second volume de la Théorie du Pouvoir M. de Bonald, et il déclare se soumettre aux principes établis par les faits. Cette méthode est excellente ; seulement il faut l’appliquer dans toute son étendue. Or, l’erreur dans laquelle tombe ce vigoureux esprit est de scinder l’histoire et de n’en prendre que ce qui convient à ses passions. Depuis bientôt quatre siècles, quel est le fait fondamental qui sépare de plus en plus du moyen-âge l’Europe moderne, si ce n’est l’empire toujours croissant de la réflexion et de la théorie appliquées au gouvernement des sociétés ? Auparavant l’esprit de l’humanité se traduisait presque uniquement par la naïveté des mœurs, des coutumes et des instincts plus tard par une évolution nouvelle, il fit le double effort de se replier sur lui-même, et d’employer les forces qu’il avait ainsi recueillies à la recherche du bonheur et de la liberté : labeur immense signalé depuis plusieurs siècles par de grandes chutes