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le début, d’éloquens et courageux ennemis. C’est la destinée des grandes causes d’exciter la haine au même point que l’enthousiasme ; aux idées nouvelles et fortes s’attachent toujours des passions ardentes, soit pour les propager, soit pour les combattre.

Il est possible aujourd’hui de jeter un regard tranquille sur la succession des écrivains politiques qui résistèrent aux principes nouveaux. Les tourmentes dont furent battus nos pères sont bien loin, et nous pouvons en parler comme nous ferions des temps de Marius et de Sylla. Quant à la polémique des légitimistes contemporains, nous ne saurions lui reconnaître la puissance de nous rendre la justice difficile.

C’est avec l’esprit de Voltaire que la cause des anciennes institutions fit face aux premières nécessités de la défense et de l’attaque. Nous n’énonçons pas ici un paradoxe, mais un fait. La dictature intellectuelle de l’auteur de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations était dans toute sa force quand, à la fin du dernier siècle, les passions politiques s’allumèrent si vivement parmi nous. Voltaire régnait partout, à la cour non moins que dans la bourgeoisie : il avait fait des idolâtres jusque dans le clergé. La moitié de la noblesse était imbue des opinions de Voltaire, qui n’avait jamais attaqué ni le trône ni l’aristocratie, mais seulement l’église. Dans les rangs des novateurs, Voltaire était une autorité souveraine pour tous ceux que n’avait pas subjugués Jean-Jacques. L’esprit de Voltaire planait donc à la fois sur les deux camps ennemis de l’ancien régime et de la révolution : c’est une gloire assez piquante.

L’arme dont Voltaire s’était si puissamment servi contre l’église, de jeunes écrivains voulurent la tourner contre la révolution. On entreprit de ruiner la liberté par la liberté par le ridicule. Il y avait alors dans les salons de Paris, un jeune auteur auquel ne manquaient ni la réputation ni les ennemis : c’était Rivarol, causeur étincelant, plume ingénieuse. Il s’était déjà moqué de tous ses contemporains indistinctement dans un écrit satirique qu’il avait intitulé Le petit Almanach de nos grands hommes ; il s’était aussi fait connaître par des essais plus sérieux et dignes d’estime, de façon que les évènemens imprévus de 1789 le trouvèrent armé pour la lutte, ayant un talent exercé, et une verve de malice qui cherchait partout des victimes. Rivarol se disait de sang noble ; mais on murmurait autour de lui qu’il était le fils d’un cabaretier. Il voulut peut-être prouver sa noblesse en se jetant avec ardeur, dès les premiers jours, dans les rangs des ennemis de la révolution. C’était aussi une vive séduction pour un talent qui avait conscience de sa vigueur, que