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part supprimer les dîmes, les couvens, les privilèges du clergé, expulser les jésuites, séculariser d’un seul coup l’enseignement, au grand scandale des évêques, et de l’autre, décréter la peine de mort contre les francs-maçons, interdire la lecture de Voltaire sous peine de trois ans de galères, et punir par six mois de prison la lecture de la Gazette de Florence. Tandis que le ministre Tanucci forçait les nobles à se fixer à la cour, projetait des codes, protégeait Filangieri, la vingt-septième partie seulement du royaume était affranchie, en 1789, des liens de la féodalité ; on comptait encore mille trois cent quatre-vingt-quinze droits féodaux sur les choses et les personnes ; la justice était livrée au désordre de douze législations toutes vivantes, et dont l’une remontait à la conquête normande. La Sicile ne se distinguait de Naples que par une barbarie plus profonde : en 1724, les trois inquisiteurs de Palerme avaient encore brûlé deux victimes en présence de vingt-six prisonniers de l’inquisition. Quant à la théocratie romaine, affaiblie, attaquée dans toute l’Europe, décréditée en Italie, elle conservait toutes les idées, les mœurs, les prétentions du moyen-âge. Dans les vingt-cinq dernières années du XVIIIe siècle, les tribunaux avaient enregistré dix-huit mille assassinats, la législation romaine se composait de quatre-vingt-quatre mille lois. Aux yeux de la cour de Rome, Naples, Milan, Gênes, Parme, Modène, la Toscane, étaient des états révolutionnaires, et Pie VI n’épargnait ni conseils, ni remontrances, ni démarches, pour exciter une réaction religieuse sur tous les points de l’Italie.

Telle était la situation du pays, livré à une crise lente, irrégulière, pleine d’incidens et de contrastes. Partout les idées du XVIIIe siècle pénétraient, et partout elles formaient des opinions, des tendances, sans constituer un parti politique. Le libéralisme des encyclopédistes se traduisait par des réformes administratives, et ne réveillait pas la bourgeoisie ; il protégeait le tiers-état contre la noblesse et le clergé, mais ne lui donnait ni force, ni action politique ; exploité dans les cours comme moyen de popularité, il était persécuté dans les livres et frappé de mort dans les sociétés de francs-maçons avant d’avoir tenté le moindre mouvement politique. Bon nombre d’écrivains et de poètes s’étaient ralliés aux principes libéraux, mais leur influence était à peu près nulle, et ils étaient vaincus par la littérature vide et sonore des faiseurs de sonnets et de chansons. À cette époque, l’Italie était encore le pays aux quatre-vingt mille moines, la terre d’adoption des sigisbées et des bandits : des armées d’aventuriers représentaient sa puissance militaire, et la direction morale appartenait à des gouvernemens