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et Pidal. Un si complet changement de front imprimé à la politique du gouvernement jeta une perturbation profonde parmi les journaux ministériels, qui prirent parti selon que, par leurs principes ou par les intérêts, rapprochaient de tel ou tel autre membre influent du cabinet.

À ce moment, si Narvaez avait trop long-temps hésité, nous sommes sûrs, — car là-dessus nous avons des renseignemens positifs, — que son existence politique eût été sérieusement menacée. Narvaez céda, et dès-lors, avec plus d’énergie que M. Martinez de la Rosa lui-même, il combattit au conseil les répugnances anti-réformistes de MM. Mon et Pidal. Dans les journaux du cabinet, la polémique devint plus blessante et plus personnelle. Cette fois, ce ne furent plus les idées des ministres, mais bien leurs sentimens particuliers, qui la défrayèrent ; sans ménagement, sans détour, l’Heraldo attaquait M. Mon, au nom duquel le Globo reprenait vigoureusement l’offensive contre le général Narvaez. Les divisions des membres du cabinet avaient désuni les principaux écrivains de la presse ministérielle : il n’est pas étonnant qu’à son tour la polémique de ceux-ci ait réagi, dans le sein du conseil ; elle y excita des transports de colère qui enfin aboutirent au plus fâcheux éclat. Un journal de Paris a raconté que, le jour où M. Mon publia ses derniers décrets de finance, Narvaez en conçut un si grand dépit, qu’en plein conseil il jeta la Gazette de Madrid à la tête de M. Mon. Au fond, ce récit ne manque point d’exactitude ; mais le journal français se trompe, et c’est là le point capital, sur la cause des emportemens de Narvaez. Ce ne furent point les réformes financières de M. Mon qui mirent ainsi hors de lui-même le général Narvaez, mais bien les attaques incisives et pénétrantes dont celui-ci était l’objet dans le Globo, le journal de M. Mon ; ce n’est point la Gazette de Madrid, mais le Globo, qu’il jeta à la tête du ministre des finances. Sur un autre point, le journal auquel nous faisons allusion nous permettra de rectifier encore son récit. Il n’est pas exact de prétendre que M. Mon, dont la Péninsule entière apprécie le caractère ferme et résolu autant que l’habileté financière, ait dévoré en silence une si grave insulte ; qu’il nous suffise de dire qu’entre lui et Narvaez la médiation des autres ministres s’est exercée de telle manière, que sa considération personnelle n’en a pas le moins du monde souffert. Au reste, cette violente scène produisit au palais une si vive impression, qu’on se décida un instant à ne point soulever les discussions politiques aux cortès, et à ne s’occuper d’abord que des lois d’intérêt positif. Une pareille détermination ne fut pas de longue durée ; c’est à peine, si les journaux eurent le temps de la rendre publique. Vingt-quatre heures plus tard, M. Martinez de la Rosa était remis de ses alarmes, ou, si l’on veut, de son émotion, car le lendemain le projet de reforme fut apporté au congrès. Cette fois, comme Narvaez avait cédé à M. Martinez de la Rosa, M. Mon, à son tour, craignant sans doute qu’à un tel moment sa retraite n’entraînât de funestes conséquences pour la monarchie même, céda au général Narvaez.