Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/552

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communion que Port-Royal, arrive exactement au même but. Cette dame prêcha sa doctrine, l’année dernière, dans un ouvrage en trois volumes, et elle la resserre aujourd’hui dans une brochure à laquelle elle a donné la forme du roman. Moraliste, Mme de Gasparin a plus de mérite que dans ses fictions romanesques. Son premier livre avait au moins de belles pages, et rappelait quelquefois d’illustres modèles, tandis que sa nouvelle est froide, sans invention, sans le moindre trait. Pour le coup, il n’y a rien ici de Corinne : le méthodisme a glacé la plume et jeté sur les épaules de la jeune femme une chape de plomb, ce qui est dommage quand on porterait si bien une gracieuse parure.

Mme de Gasparin, dans sa nouvelle méthodiste, veut mater l’ambition et flétrir l’amour de l’argent ; le sujet était beau, et un esprit énergique et modéré aurait pu en tirer un admirable parti, en réservant les droits raisonnables de chacun, les prétentions légitimes, et en ne flétrissant que les excès. Le champ était vaste ; en quel temps a-t-on couru à la fortune avec une audace plus cynique ? à quelle époque le culte du dieu-argent a-t-il été plus fervent et plus répandu ? L’art et les lettres, qui avaient échappé jusqu’ici à la contagion ignoble et dévorante, ne sont-ils pas infestés ? Ne voyons-nous pas des hommes de talent, dans un marché léonin, funeste toujours pour eux, quoiqu’il soit brillant en apparence, aliéner leur imagination, comme dans le moyen-âge on vendait son ame ? Et, pour égayer ce sombre tableau, n’apercevons-nous pas la face bouffie de quelque Turcaret qui vend des phrases comme son aïeul vendait des coupons, et qui se vante d’avoir des romanciers à ses gages, et de sa suite ? L’amour immodéré de l’argent et l’ambition égoïste abaissent et dégradent les ames ; sous cette double influence, la vie intime est troublée, et la vie publique se rapetisse. En présence de pareilles calamités, le devoir du moraliste est tracé mille fois, il n’a pas à hésiter, il faut qu’il flétrisse les mauvaises passions avec toute l’énergie dont il dispose ; mais, en luttant contre ce qui nuit à la société il doit prendre garde prudemment de ne pas blesser ce qui la sert. Or, c’est ce que font les moralistes qui ne mesurent pas leurs coups ; ils tirent en même temps sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais. Ainsi Mme de Gasparin, dans sa fiction, après avoir touché à des plaies vives, conclut à faux, elle conclut contre toute ambition, veut que chacun reste à la place où il a été mis, quelles que soient ses aptitudes, quel que soit son génie ; elle demande alors une société caste, elle veut l’immobilité de la Chine ! Un homme célèbre, dont Mme de Gasparin ne déclinera peut-être pas l’autorité, voyait autrement les choses, et dans un discours mémorable où il exposait tout le bien que peut faire l’ambition servie par une belle intelligence et un noble cœur, il s’écriait : « Ayons de l’ambition ! ». Entre Mme de Gasparin et M. Guizot, le débat. Sans être égale, la lutte peut être brillante.

La vieillesse est indulgente : pendant que Mme de Gasparin pose des principes inflexibles, un académicien au front blanchi émet de douces et consolantes