Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes ou pour mieux dire les femmes qui se chargent de transporter les plus lourds fardeaux, partout où ne peuvent librement cheminer les bêtes de somme, et Dieu sait si même dans les plaines le transport est facile à dos de chameau, de cheval, d’âne ou de mulet. Point de commerce, à vrai dire, et, pour justifier une assertion au premier abord si absolue, il nous suffira de faire observer que chaque branche du négoce, intérieur ou extérieur, peu importe, est un monopole que l’empereur afferme à des Juifs, aux conditions les plus onéreuses. Les traitans se verraient infailliblement écrasés si, à leur tour, ils ne s’efforçaient d’exploiter et de ruiner les populations, en leur achetant presque pour rien les denrées indigènes, en leur vendant à des prix exorbitans les produits de l’étranger. Au bout de toutes leurs fraudes, de leurs opérations déloyales, de leurs manœuvres infames, les traitans eux-mêmes n’ont d’autre perspective qu’une misère à peu près complète. Presque jamais ils ne parviennent à se soustraire aux confiscations, aux exactions impériales, et cette fois, chose étrange, ce sont là des avanies qui ont une apparence de justice : puisqu’ils ne peuvent remplir les obligations qu’en acceptant le monopole ils ont contractées envers le sultan, ne semble-t-il pas naturel que le sultan se paie lui-même en s’emparant de leurs biens ? Il n’est peut-être pas un seul négociant au Maroc qui vis-à-vis du souverain ne se trouve complètement obéré. Hier encore, à la veille du brillant fait d’armes accompli par nos marins devant Mogador, un des principaux marchands de la ville n’était-il pas, malgré son titre de vice-consul, retenu par les autorités marocaines pour une dette énorme qu’il se trouvait hors d’état de payer ? Un tel fait devrait décider l’Europe à se préoccuper un peu plus de sa dignité vis-à-vis de ces populations barbares. Il y a trente ans à peine, le mal était beaucoup moindre ; nos consuls pouvaient résider encore à Tétuan, sinon même dans des villes plus rapprochées de la capitale ; mais, comme tout propos leur présence inquiétait et irritait le fanatisme musulman, l’empereur ordonna brusquement leur translation à Tanger. En dehors de cette ville les puissances chrétiennes sont représentées par des vice-consuls de race juive ou de race maure ; la Grande-Bretagne seule ne confie qu’à ses nationaux de si importantes fonctions. Les vice-consuls ne reçoivent de leurs gouvernemens respectifs qu’un traitement extrêmement modique ; ils y suppléent par les exactions qu’ils font subir aux marchands forcés de réclamer leur appui.

Qu’elles s’importent ou s’exportent, toutes les marchandises paient des droits excessifs à la douane de Tanger de Tétuan et des autres villes de la côte. Ce sont les droits de douane qui forment les principales ressources de l’empire avec le djazia (contribution de vassal) que paient les Juifs depuis les premiers temps de l’invasion arabe, et le naiba (contribution directe), espèce d’exaction que l’on fait subir aux tribus nomades quand l’autorité du sultan les peut atteindre. M. Serafin Calderon évalue à deux millions de duros (le duro vaut cinq francs) la moyenne du revenu total de l’empire, et à neuf cent quatre-vingt-dix mille celle des dépenses de tout genre auxquelles