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moins de fécondité que M. Capefigue, l’évêque Camus n’était pas un romancier moins édifiant que M. Veuillot. Je compte précisément autant de volumes dans la Clélie qu’il y en aura dans le Juif Errant. L’opinion même de donner le pas à Scarron sur Boileau n’est pas si neuve qu’on voudrait le faire croire[1]. Il serait puéril de prolonger ces rapprochemens et de les préciser dans leurs nuances. Il y aurait trop à faire. Mais qu’on me laisse encore tirer quelques lumières de deux livres tout-à-fait oubliés d’un auteur qu’on ne cite jamais, et que n’a probablement pas lu M. Gautier : je veux parler de Gombauld, ce vieux poète qui vécut près de cent ans, et qui, presque contemporain de la pléiade, s’attarda très avant dans le siècle de Louis XIV. C’était un écrivain assez agréable, mais trop infecté des fadeurs de l’hôtel Rambouillet : comme Boileau l’a maltraité, Gombauld se trouve tout recommandé à l’historien des Grotesques. Profitons de l’autorité.

Je furetais donc l’autre jour dans les Épigrammes et dans les Lettres de Gombauld : le moindre rayon sur le passé fait revivre aussitôt des milliers d’atomes. Ce monde littéraire de Louis XIII, tel que le judicieux Gombauld l’a peint, offre vraiment mille similitudes singulières avec ce qui se passe sous nos yeux. Et d’abord c’était la même abondance confuse d’auteurs sans vocation :

Chacun s’en veut mêler, et pour moi je m’étonne
De voir tant d’écrivains et si peu de lecteurs.

  1. Charles Perrault, au troisième volume de son Parallèle des Anciens et des Modernes s’exprime sur le genre grotesque de façon presque à satisfaire M Gautier ; le passage s’approprie, si directement à notre sujet, qu’il faut le citer. Le voici : « Dans l’ancien burlesque, le ridicule est en dehors et le sérieux en dedans ; dans le nouveau, qui est un burlesque retourné, le ridicule est en dedans et le sérieux en dehors… Je veux vous donner une comparaison là-dessus. Le burlesque du Virgile travesti est une princesse sous les habits d’une villageoise, et le burlesque du Lutrin est une villageoise sous les habits d’une princesse ; et comme une princesse, est plus aimable avec un bavolet qu’une villageoise avec une couronne, de même les choses graves et sérieuses, cachées sous des expressions communes et enjouées, donnent plus de plaisir que n’en donnent les choses triviales et populaires sous des expressions pompeuses et brillantes. » - Je demanderai de ne pas souscrire à la spécieuse métaphore de Perrault ; mais M. Gautier conviendra qu’on était assez hardi en plein siècle de Louis XIV. On y préférait déjà Scarron à Boileau ; rien n’est plus suranné que certains paradoxes et plus neuf que certaines vérités : c’est que le paradoxe vieillit et que la vérité n’a pas d’âge.