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ce côté[1]. Si cette simple remarque : que la fantaisie serait mieux placée dans un roman que dans une notice est mise hors de litige, la critique se tiendra pour satisfaite. On me permettra d’être très court sur les deux volumes des Grotesques ; j’en ai déjà trop dit en caractérisant le genre lui-même.

C’est à l’époque dite de Louis XIII que se rapportent la plupart des portraits ou plutôt des spirituelles charges littéraires recueillies aujourd’hui par M. Gautier. Comme M. Gautier admire beaucoup notre littérature contemporaine, et comme il trouve certains rapports entre la poésie d’à présent et la vieille poésie des Cyrano et des Saint-Amant, sa bienveillance n’hésite pas à se déclarer ouvertement, et il amnistie de tout son cœur les précurseurs oubliés. Hélas ! Cette fraternité et ces analogies sont trop vraies, plus vraies que ne se l’imagine M. Gautier lui-même. Sans y mettre de malveillance ou de malice, on pourrait pousser le parallèle fort loin : ainsi la tragi-comédie était absolument le drame romantique mêlé de grotesque et de sublime[2], et, pour passer aux noms propres, Varillas n’avait pas

  1. Il y aurait quelque pédanterie à relever exactement toutes les légèretés, toutes les étourderies du spirituel auteur des Grotesques. M. Sainte-Beuve n’a pu s’empêcher déjà de noter les plus fortes, et on doit renvoyer à ses judicieuses remarques. J’ajouterai, entre cent, deux ou trois objections aux siennes. Il faut bien donner une idée du procédé par trop espiègle de M. Gautier. Dès les premières pages, il est question de Donat le grammairien du moyen-âge si souvent cité ; M. Gautier l’appelle toujours Donnait. Plus loin, je lis que le Pédant joué de Cyrano a été la première comédie écrite en prose… Et Patelin donc, et les joyeuses farces de Larivey ! Cela est élémentaire en littérature française. Mais ceci n’est rien. M. Gautier va jusqu’à écrire, à un endroit, qu’il n’y avait rien d’abondant, d’ample, de flottant, » dans le style de Balzac ; il ajoute même en termes plus formels : « Le vêtement de l’idée est trop court pour elle, et il le faut tirer à deux mains pour l’amener jusqu’aux pieds. » (Tome II, page 165.) Un pareil jugement critique confond : c’est le contraire précisément qu’il fallait dire. L’idée de Balzac disparaît toujours sous les plis sans fin de la phrase ; ce n’est pas un écrivain sec, chiche et compassé, comme vous l’avancez à tout hasard, mais bien un rhéteur peu amusant, sous lequel la langue française (quelqu’un l’a dit spirituellement) a doublé sa rhétorique. On peut voir, dans les Dissertations de Balzac, la XIXe, sur le style burlesque, où les écrivains de ce genre sont impertinemment comparés « aux grimaciers des carrefours. » M. Gautier n’a certainement jamais lu un seul mot de cet auteur, puisqu’il en parle comme on l’a vu ; mais il y a du pressentiment dans sa rancune. — Je borne là mon erratum de pédant ; on a le ton, et cela suffit.
  2. Scudéry, il est piquant de le remarquer, dit à propres termes dans ses Observations sur le Cid : « La tragi-comédie, qui n’a presque pas été connue de l’antiquité, est un composé de la tragédie et de la comédie. » Voilà bien l’alliance du grotesque et du sublime que proclamait, il y a dix-huit ans déjà, la préface de Cromwell. Ainsi Scudéry définissait la tragi-comédie dans les mêmes termes précisément que l’école romantique définit le drame. Cela nous replace avant le Cid, au temps des grandes aventures sans vraisemblance et des imbroglios sans caractère On a pu montrer plus de génie aujourd’hui, mais a-t-on plus de bon sens ?