Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui portaient chacun leur part de l’armure du maître. Cela faisait bel effet aux revues, et n’était qu’une gêne dans la mêlée. Le lecteur aussi s’enchevêtre dans cette synonymie d’image, dans ces groupes sans fin de métaphores. Ajoutez que l’œil ébloui par ce scintillement de facettes, par toutes ces broderies historiées, cherche en vain à se reposer sur des sentimens vrais, sur quelque émotion venue du cœur. Malheureusement les personnages du poète sont des personnages d’atelier ; la Nyssia de son Roi Candaule n’est pas plus une femme que la Musidora de son Fortunio : ce sont les créations chimériques et flottantes d’un rêve d’opium.

Rien d’humain ne battait sous son épaisse armure,


a écrit Lamartine de Napoléon. On en pourrait dire autant de presque toutes les héroïnes de M. Gautier, l’épaisse armure ici, c’est le corps voluptueusement décrit qu’il leur prête, ce sont les riches draperies dont il les couvre ; l’ame est comme noyée sous la chair. A un endroit de ses Lettres Parisiennes, Mme de Girardin parle de ces mouchoirs Si jolis qu’au moment de pleurer, on se console en les regardant ; il en est de même des femmes de M. Gautier : je m’oublie à considérer combien elles sont belles, et leur taille m’empêche de penser à leur cœur. Aussi trouvé-je que la fantaisie descriptive de M. Gautier est bien plus à l’aise et bien mieux appropriée à son vrai cadre dans les récits de voyage, où son imagination est un peu contenue par ses souvenirs. Son excursion en Espagne, publiée sous le titre un peu baroque de Tra los Montes, peut être citée comme un cavalier et piquant ensemble de ce genre leste et aimable. L’abus des couleurs tranchées y est encore très sensible, mais ici au moins il sert à l’exactitude pittoresque du paysage. Si insurmontable goût de M. Gautier pour les trivialités brutales et les plus impossibles chimères arrêtent encore ça et là et choques les timorés, tant de vie et de bonne humeur courent à travers ces pages fringantes, qu’on est bien vite désarmé. Il y a dans tout ce style une certaine saveur de Panurge, et Panurge (La Bruyère en convient) a toujours eu le don de dérider même les dégoûtés et les délicats. Ce filon de Rabelais, qu’on retrouve souvent chez M. Gautier, est un don heureux et rare.

L’imagination du romancier et du touriste peut tout se permettre ; mais il semble que l’histoire littéraire et la critique voudraient au moins quelque exactitude et quelque vérité de couleur. Vous vous doutez trop que le poète a laissé dédaigneusement ces babioles aux pauvres diables d’érudits. Au surplus, nous ne le chicanerons pas de