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Chez M. Gautier, c’est le langage qui a le pas : il est vrai qu’ici de tyran plein de magnificence ne se sert que de liens d’or et de chaînes éclatantes. Cette domination de l’image, cette suprématie de l’expression ont bien leur inconvénient sensible quand il s’agit de la beauté ; mais du moins la beauté donne à ces peintures je ne sais quel reflet idéal qui fait illusion. Dans les sujets grotesques, il n’y a plus ce correctif, et le défaut alors apparaît avec toute sa saillie. Est-il en effet question de magots, de guivres, de gargouilles ou de djinns, de quelque nain hideux accroupi dans un angle humide, de quelque bossu à la grimace informe, M. Gautier se montre reproducteur si complaisant et si exact, qu’on est tenté de trouver trop de ressemblance entre le portrait et le modèle. C’est l’extrême excès de la couleur locale. Non pas que je veuille contester le moins du monde à l’auteur de Fortunio le tour comique ; ou plutôt ce qu’il appellerait lui-même, avec son style sans gêne, l’humeur hilariante et jubilatoire. M. Gautier a quelquefois des pages tout-à-fait récréatives et gaillardes. Personne n’établit mieux sur ses jambes un capitaine Fracasse, avec ses airs éventés, son espadon colossal et ses moustaches extravagantes ; personne ne retrace plus au vif quelque pauvre diable de poète juché fièrement dans une mansarde et faisant de sa bouteille un chandelier, de sa rapière une broche, de son drap une nappe. Ce sont là des goguettes de style que je n’aurai pas la pruderie de blâmer : je ne suis pas du tout de l’avis de Boileau sur le sac de Scapin. Seulement c’est le goût (veillard stupide, comme dans Hernani !) que M. Gautier a mis à la place du père Géronte et qu’il fustige d’importance. La question est de savoir si le bonhomme, se doutant du tour, finira par se fâcher. Sans doute, si ces joyeusetés ne prétendaient pas à autre chose qu’à être des charges spirituelles et des caricatures amusantes, il n’y aurait pas le plus petit mot à dire, mais c’est autre chose, c’est l’application d’une théorie, c’est le burlesque mis à côté du sublime, c’est Quasimodo enfin aux pieds de la Esmeralda. Je préfère le comique franc et sans grimace de Sganarelle et de Turcaret ; c’est un faible.

Tout à l’heure, les mots de palette et de pinceau revenaient malgré moi sous ma plume : c’est que Ie style de l’écrivain chez M Gautier a tant d’analogie avec le style des peintres, qu’on ne saurait le caractériser qu’en l’imitant et en accumulant aussi les tons tranchés et voyans. Il faut se décider à écrire avec l’ocre et l’outre-mer. On dit que la jeunesse, de M. Gautier s’est passée dans un atelier : cela m’explique sa manière. Ce n’est pas que le rapin d’autrefois, pour employer un mot familier et cher à M. Gautier, ne soit devenu un vrai