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temps de Cromwell comme avec les jeunes recrures qui, ressaisissant la tâche spirituellement délaissée par M. De Cassagnac lui-même, font du feuilleton une salle d’armes, et, la flamberge au point, espadonnent avec plus de colère que jamais contre ce malheureux Racine, auquel les triomphes de Mlle Rachel valent de nouvelles avanies. Voilà des néo-révolutionnaires un peu moins redoutables que leurs prédécesseurs ; ce sont les tardives folies de Babeuf… après le 9 thermidor. Au fond, aucune idée neuve, aucune vue propre, aucune intervention originale ; c’est toujours la vieille théorie de la préface de Cromwell qu’on reprend, qu’on délaie, qu’on badigeonne d’images, qu’on noie dans les métaphores. Je ne crois pas être suspect de prévention contre le génie si admirablement doué de M. Victor- Hugo ; c’est la sympathie qui doit faire le fond de toute critique généreuse, et il faudrait être dépourvu de l’amour du beau pour marchander chichement la sienne aux élans lyriques de celui qui a écrit la Prière pour tous et la Tristesse d’Olympio. M. Hugo est, avec M. de Lamartine, l’un des plus grands poètes, non pas seulement de notre tems et de la langue française, mais de la moderne Europe. Cela dit, j’aurai bien le droit de faire mes réserves et d’exprimer tente ma pensée. Il est bien entendu que je mets à part la poésie lyrique.

Si quelque chose caractérise de notre temps, est assurément le retour vers les cimes du spiritualisme. Le XVIIIe siècle, qui a fait de si grandes choses et qui gardera l’éternelle reconnaissance de tous ceux qui ont le culte de la liberté, le XVIIIe siècle s’était enfermé dans la sphère inférieure du phénomène et de la contingence ; sous les liens de ce sensuel empirisme, il n’avait pu s’élever vers les sereines régions atteintes par Descartes et par Pascal. C’est là sa tache au milieu de tant d’éclat, ce sera sa honte dans l’avenir et comme le rachat de sa gloire. Le retour si décidé de ces dernières années vers les incomparables monumens du XVIIe siècle, le dégoût croissant au contraire pour tous les écrits frelatés et surfaits du mauvais romantisme, ce double mouvement, en un mot, n’a pas coïncidé pour rien avec les récentes conquêtes de la doctrine spiritualiste. Je suis convaincu, pour ma part, qu’en pratiquant au théâtre et dans le style sa théorie matérialiste du grotesque, de la métaphore à tout prix et de la couleur exclusivement locale, l’école moderne s’est mise en contradiction avec ce goût de l’idéal apporté par une philosophie nouvelle, et si bien servi d’ailleurs par les poètes eux-mêmes dans ce grand mouvement lyrique qui s’est ouvert par les Méditations, et qui s’est continué par les Feuilles d’Automne et Jocelyn. Ce qui, dans notre conviction,