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prétend à ce rôle) arrivera jusqu’à Rome sans coup férir, ou bien s’il se perdra dans les maremmes.

En 1828, M. Sainte-Beuve, dans un livre célèbre, rattachait le nouvel et brillant essor de la poésie lyrique aux tentatives souvent charmantes et si vite interceptées de la pléiade du XVIe siècle, cet hommage à des prédécesseurs trop oubliés était, même par le point ou le rapprochement semblait moins exact, un instinct heureux de M. Sainte-Beuve et comme un symptôme de la séparation qui ne pouvait manquer de s’établir plus tard entre ce que j’appellerai les girondins de la première génération et les sans-culottes de la seconde, entre ceux qui ont posé hardiment des principes et ceux qui les ont poussés à bout, comme si la littérature procédait avec une logique absolue, comme si les matières de goût pouvaient jamais se passer des nuances et des tempéramens ! Pour la délicate ciselure du rhythme, pour les graces de l’image, pour les hardiesses lyriques de la diction, l’auteur de Joseph Delorme triomphait contre J.-B. Rousseau, en évoquant le souvenir de Baïf et de Desportes ; il avait raison. Mais une différence profonde, qui ne fut pas d’abord mise dans tout son jour, séparait pourtant l’école de la pléiade de la nouvelle école romantique : la pléiade a péri par l’idolâtrie de la tradition, le romantisme, au contraire, échoue par le dédain de la tradition. C’est que l’abîme est aux deux pôles. Si, dans la première vivacité des débuts, M. Sainte-Beuve n’était pas assez sévère peut-être pour ces reproducteurs gracieux et par trop païens les Grecs, qui n’avaient su innover que dans la forme et comme dans l’enveloppe poétique, il trouvait d’ailleurs, en cet excès même de la pléiade, un exemple de respect pour les modèles inspirateurs de l’antiquité, exemple excellent qui, corrigé par un esprit original, eût suffi à le tenir loin des excès qui ont suivi, quand même son sens délicat et sûr ne l’eût pas mis naturellement en défiance. C’est un refuge préservateur que la pratique de ces vieux maîtres qui étonnent toujours et ravissent par une perfection si accomplie et une simplicité si sobre ; on se retrempe merveilleusement à cette source, qui rend plus fort et qui laisse comme une odeur divine aux génies qui s’en empreignent. C’est ce parfum qu’on retrouve à toutes les pages de ces esprits créateurs : Dante, Molière, Milton. J’oserai dire que la culture sérieuse de la beauté antique (elle n’est guère arrivée à la jeune génération littéraire qu’à travers André Chénier) eût garanti de certains écarts et contenu plus d’une échappée malheureuse. Sans doute, au milieu de la petite recrudescence