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a présenté la vie sauvage sous un aspect presque séduisant. Si l’on compare aux pages brillantes de l’illustre écrivain les relations des derniers voyageurs qui ont séjourné parmi les peuplades de l’Amérique septentrionale, on trouvera que l’influence de la civilisation a gravement altéré les mœurs dont M. de Châteaubriand trace une peinture si éclatante. L’ Indien n’est plus le guerrier fameux ; roi libre de sa forêt, c’est un trafiquant sans bonne foi et un mendiant sans pudeur. On ne peut plus compter ni sur son dévouement ni sur sa loyauté, et ses vertus hospitalières peuvent même être mises en doute En contact perpétuel avec le rebut de la civilisation, il n’a pris à l’Européen que des maladies et des vices. Tout, dans ces vastes contrées de l’ouest, semble donc se réunir pour repousser la colonisation, la stérilité du sol, la rigueur du climat, l’astuce et la méchanceté des habitans. Et ces habitans eux-mêmes, quel peut être leur sort probable dans un avenir plus ou moins rapproché ? M Washington Irving remplace les tribus indiennes, actuelles par une race moitié pastorale, moitié vagabonde et pillarde, vivant, comme l’Arabe, de rapine, et, comme le Tartare, de la chair et du lait de ses cavales. « L’Espagnol, en naturalisant le cheval chez les Indiens de Santa-Fé, et par suite dans l’intérieur de l’Amérique du Nord, doit, dit-il, opérer dans les mœurs de la race indigène une révolution complète. » Cela peut être vrai pour les grands plateaux de l’Amérique centrale ou de l’Amérique du Sud ; mais la nature du sol traversé par le Missouri, la rivière de la Roche-Jaune ou la Rivière-Plate, n’est pas la même que dans le Chili ou à Tucaman, et s’opposera toujours à ce que l’indien ressemble à l’habitant des pampas. Nous croyons donc plutôt à l’extinction de la race indienne qu’à sa transformation ; le gibier, sa principale nourriture, a diminué annuellement, en butte à une stupide et incessante destruction. Avant cinquante ans, cette ressource manquera, et la race indienne devra périr, la dernière tribu suivant le dernier troupeau de bisons. Il est donc fort probable que vers la fin du siècle toute cette vaste contrée du Missouri, déjà la moins peuplée du continent américain, eu égard à son étendue, ne présentera plus qu’une immense solitude où l’action puissante de la nature effacera jusqu’aux traces passagères que la cupidité de l’Européen laisse derrière elle.


FRÉDÉRIC MERCEY.