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pachas font exécuter des razzias générales qui, d’un seul coup, ruinent les populations.

De toutes les productions naturelles à l’Afrique et à l’Europe, il n’en est pas une seule qui ne puisse prospérer au Maroc ; le lin, le chanvre, la vigne, l’olivier, le tabac, tout enfin y deviendrait d’une ressource inépuisable, si par la même indifférence on ne semblait prendre à tâche de contrarier la nature qui sous ce beau soleil, au bord de ces grandes rivières, dans ces plaines toujours vertes, prodigue en pure perte ses plus riches trésors. La culture du tabac, il est vrais, y est moins négligée que celle de l’olivier ou de la vigne ; mais le tabac du Maroc est trop capiteux, son odeur extrêmement désagréable, et l’on aurait beaucoup de peine à le faire accepter aux plus misérables presidarios d’Alhucemas et de Ceuta. Aujourd’hui encore, on rencontre çà et là dans les plaines quelques débris des vastes plantations d’oliviers dont parlent les anciens chroniqueurs ; mais le gracieux arbuste n’y croît plus qu’à l’état sauvage. Rabougri et noué, il ne porte plus que des fruits insipides. Les Marocains en sont réduits à faire de l’huile avec la baie amère des lentisques. Pour assaisonner leurs alimens, les pauvres gens se servent de cette huile, qui, est d’un goût détestable ; appliquée à l’éclairage, elle projette au loin d’éclatantes lueurs. La vigne a disparu des collines et des terrains qui lui sont le plus favorables ; on ne la voit plus que dans les bas-fonds, à une médiocre distance des villes, et les raisins peu savoureux qu’elle donne ne sont jamais convertis en vin : le gouvernement marocain, qui maintenant tolère qu’on s’enivre avec les vins d’Espagne, s’y oppose de la plus formelle façon. De riches propriétaires font pourtant écraser et piler leurs raisin en cachette ; avant même que le moût ait fermenté, ils boivent avidement la liqueur hideuse qui en découle et tombent presque aussitôt dans une lourde et stupide ivresse, de laquelle ils ne se relèvent que malades et pour long-temps affaiblis, il y a quelques années, les Juifs avaient obtenu du sultan l’autorisation de faire un peu de vin qu’ils préparaient selon les procédés usités dans les provinces méridionales de l’Espagne, et ce vin était, dit-on, aussi bon, sinon meilleur que celui d’Alicante et de Malaga ; mais l’empereur ayant découvert que les Juifs n’en gardaient pas pour eux une seule goutte et le vendaient tout entier aux Maures, l’autorisation fut immédiatement retirée. Aujourd’hui les Juifs ne fabriquent plus, — et encore sont-ils forcés de le faire en cachette et par contrebande, — qu’une espèce d’eau-de-vie, provenant de grappes de raisin, de figues, de poires, de dattes et d’une foule d’autres fruits pilés et mêlés, qui après avoir long-temps fermenté, finissent par donner une liqueur extrêmement forte dont on essaie, mais en pure perte, de corriger la saveur détestable en y trempant des herbes aromatiques pendant une semaine environ. Depuis l’époque où nous avons entrepris de coloniser l’Afrique, les Marocains ont voulu naturaliser chez eux la pomme de terre ; après le premier essai, les plus résolus se sont rebutés, et de long-temps sans doute on ne recommencera