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les mœurs des habitans à demi sauvages qui ont remplacé les autres, et qui servant au milieu de ces forêts d’avant-garde à la civilisation, sont comme la transition entre le sauvage et l’Européen.

Appelés back-woodsmen parce qu’ils demeurent au fond des bois les plus solitaires, ces hommes grossiers et vigoureux, d’origine anglaise ou irlandaise pour la plupart, ont commencé à défricher les grandes forêts qui couvrent le territoire de l’Indiana. Les back-woodsmen n’apparaissent dans les villes que quand leurs affaires les y appellent. Dans ces occasions, le whiskey, qu’ils aiment de passion, coule à grands flots, ce qui rend le retour fort difficile. Comme l’indien de la prairie, les back-woodsmen sont excellens cavaliers ; leurs femmes elles-mêmes sont d’intrépides amazones. Il n’est pas rare de voir une famille entière revenir de la ville montée sur le même cheval. Le costume des back-woodsmen n’a rien de caractéristique ; c’est un composé ridicule de toutes les modes des villes anglaises, qui produit un contraste fort bizarre au fond de ces bois retirés. Souvent, quand viennent les journées brumeuses de l’automne, l’ennui les saisit dans leurs solitudes, qu’ils abandonnent pour le cabaret de la ville la plus voisine. Si quelques-uns d’entre eux observent le dimanche, c’est en se livrant à toute espèce, de jeux bruyans et en s’enivrant un peu plus que de coutume ; mais la plupart d’entre eux continuent ce jour-là à vaquer à leurs occupations. Les seuls jours fériés sont les jours d’élection. Qu’il s’agisse de choisir un président, un gouverneur ou un simple magistrat municipal, aucun d’eux ne manque à l’appel et ne voudrait pour rien au monde renoncer à la part de souveraineté que lui confère l’élection. Ils lisent d’ordinaire assidûment les gazettes, se croient de grands politiques, et pour eux l’homme d’état est moins celui qui fait les lois ou qui les applique que celui qui fait les législateurs. Tant que dure l’élection, leurs troupes remplissent la ville. Pendant que leurs chevaux, attachés à la porte des auberges, restent des journées entières exposés à la pluie ou à la neige, les cabarets à whiskey retentissent de leurs bruyantes conversations. Chaque électeur exalte à haute voix son candidat, dont ses adversaires discutent les qualités. La discussion amène nécessairement la dispute, et souvent des rixes tumultueuses où les coups de poing et les coups de bâton remplacent les coups d’épée des diètes, polonaises.

L’Ohio, à Mount-Vernon, est plus large que le Rhin ; il coule entre deux rideaux d’épaisses forêts qui, à l’horizon, se perdent dans des sapeurs bleuâtres, et sur les premiers plans se réfléchissent dans le