Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette Russie-Noire est si bien regardée comme le sanctuaire de la nationalité russe, que c’est elle qui porte par excellence le surnom de Sainte (Svataïa-Rossia). C’est qu’aux yeux de tout l’Orient chrétien cette terre est vraiment sainte, car elle fut le pays des martyrs. Sobus le joug écrasant des Tatars, qui, en pesant sur elle durant deux siècles, lui valut le nom de Noire ou d’esclave, cette partie de la nation russe endura tous les maux plutôt que d’apostasier. Son admirable constance dans ces jours mauvais mérite assurément toutes les sympathies de l’histoire ; et quand l’affaiblissement de la horde mongole eut enfin permis aux Russes noirs de lever l’étendard d’une sainte et généreuse révolte, leur courage dans les combats fut aussi grand que l’avait été leur constance dans les supplices. Alors, comme un fanal dans une nuit profonde, la blanche Moscou (Bielaïa Moskva) s’éleva du sein de la Russie-Noire, et, par l’habileté de ses princes, elle ne tarda pas à devenir la capitale de toute la race. Pendant que les Moscovites traversaient ces deux périodes d’esclavage et de lutte, les Russes blancs, alliés de la Pologne, florissaient par leur commerce. Civilisés presque dès l’origine, ils formaient, sous la présidence de la grande Novgorod, une confédération de tribus libres et républicaines. C’est pour ces tribus que fut composé, dès le XIe siècle, le code russe (pravda ruskaïa). Elles ont toujours gardé, même encore aujourd’hui, des penchans républicains ; de tous les Russes, il n’en est pas qui soient plus portés vers l’Europe. On compte 3 millions 230,000 Russes blancs, tous de religion gréco-slave. Ils s’étendent de Smolensk à Pétersbourg, et ont conservé leur ancien dialecte, le biélo-russe, qui est aussi très répandu en Lituanie, royaume autrefois uni à la Russie-Blanche. Ainsi les Lituaniens, qui ne sont pas des Slaves, servaient et servent encore de lien entre le Biélo-Russe et le Polonais. Ils comblent en quelque sorte par leur caractère mixte l’abîme, sans eux infranchissable, qui existe entre deux nations aussi profondément différentes de génie et de mœurs que les Russes et les Polonais.

Un phénomène social analogue se produit dans le midi de l’empire. Là se trouve pour la Pologne une autre espèce de confédérés, les Russes rouges ou Malo-Russes, race belliqueuse et turbulente, qui s’est mêlée à presque toutes les révolutions de l’Orient. La capitale de ce peuple, Kiöv, fut durant des siècles la capitale de toutes les Russies, enfin les ravages des Mongols l’obligèrent de se soumettre aux Polonais ; mais, malgré tous les maux que lui faisait endurer le grand-khan de l’orde d’Or, le peuple malo-russe refusa constamment de suivre l’exemple de sa capitale et de s’incorporer à la Pologne. Préférant