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jadis 25 millions de sujets. S’il ne dut autrefois à des moyens factices qu’une élévation passagère, ses ennemis ne pourront pas non plus, par des moyens factices, l’entraîner dans une irrévocable décadence. Ne mesurons pas du reste les forces et l’avenir de la Pologne au petit nombre de ses enfans, mais à leur courage et à leur patriotisme.

Si l’on compare la position géographique des provinces polonaises avec celle de la Bohême, de la Grèce, des pays illyro-serbes, on ne peut se défendre d’une triste impression à la vue des obstacles matériels, qui pèsent sur cette nationalité, et l’on admire davantage encore le peuple qui n’a pu maintenir son existence que par une lutte incessante contre la nature. Quelle position en effet que celle des Polonais, entièrement découvert au milieu des steppes, entre la mer et les montagnes ! Si du moins ils avaient gardé la Baltique ! mais dans son héroïque et orgueilleuse imprévoyance, l’ancienne szlachta (noblesse de Pologne) a cédé toutes ses côtés aux émigrations germaniques, sans même se réserver les embouchures de son fleuve national. A partir de Thorn, c’est-à-dire du lieu où elle présente le plus d’avantages à la navigation, la Vistule est presque entièrement allemande, et la côte maritime n’est proprement polonaise que sur un court espace, entre Hela et Schmolsin. Nous ne rappellerons pas ici la race grecque, restée en possession de toutes ses mers ; prenons seulement la nation illyro-serbe : occupant à la fois et la mer et les montagnes, combien n’est-elle pas mieux placée que la race lituano-polonaise, pour développer sa richesse et son indépendance ! Cependant qu’ont fait les Illyro-serbes, et quelle place occupent-ils dans l’histoire comparativement aux Polonais ? Qui dans le monde parle de l’Illyrie ? et quel est au contraire sur le globe l’écho qui n’ait pas répété le nom de la Pologne ?

Si la position géographique des provinces lèques, sans montagnes et sans mers, est évidemment une position malheureuse, leur position morale est bien plus malheureuse encore. Dans ce monde gréco-slave, essentiellement oriental de mœurs, de lois, de rites, au point que religion slave et religion grecque sont deux mots synonymes, la Pologne, quoique slave, pense et agit en latine. Ce latinisme des Polonais a peut-être plus encore que leur position géographique contribué à leur ruine, en les faisant envisager presque comme étrangers par la majorité des Gréco-slaves. Souvent dans leurs propres foyers les Polonais vivent séparés de mœurs et de sympathies d’avec les indigènes. Ainsi dans la Volhynie, la Podolie, l’Ukraine, la Lituanie, la Biélo-Russie, le paysan est de rite grec-uni, tandis que les seigneurs et les bourgeois des villes sont de rite latin.

Évidemment l’avenir de la Pologne dépend de sa réconciliation avec les