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rôle que le Bulgare en Turquie : il est le père nourricier de la race dominante. Partout où l’on voit de grands travaux d’agriculture, on peut affirmer sans crainte qu’ils sont dus aux Slovaque. Il n’y a pas jusqu’aux fameux vignobles de Tokay pour la culture desquels le Maghyar n’emploie les mains de ces hommes laborieux.

Quand la neige, en couvrant leurs montagnes, leur interdit le travail des champs, les infatigables laboureurs de la Slovaquie se font tisserands, et fabriquent une quantité incroyable de pièces de toile. Le printemps revenu, ils vont colporter et vendre ces marchandises dans toute l’Allemagne, en Pologne, en Roumanie, en Turquie et jusqu’au fond de la Russie. Partout ils portent leur costume national, ne s’expriment presque jamais que dans leur dialecte ; avec leur rustique simplicité, ils s’imaginent retrouver des Slovaques dans tous ceux qui parlent une langue slave, et les considèrent comme leurs concitoyens. Nous laissons à juger quel parti la Russie saura tirer d’une telle ignorance, si l’Autriche ne vient pas elle-même réveiller chez ce peuple le sentiment endormi de son individualité.

L’histoire des Slovaques fut long-temps belle et glorieuse, et il serait plus facile qu’on ne pense de leur rendre la conscience de leur dignité nationale. Le grand empire morave avait été fondé par leurs ancêtres, qui comprirent les premiers la nécessité d’opposer à l’omnipotence de l’Occident germanique un contre-poids oriental qui permît aux nations encore trop barbares pour admettre la civilisation romaine d’accueillir au moins le christianisme. Dans ce but, ils donnèrent naissance à une grande église qui, sans être latine, était cependant catholique, et à un grand empire qui, sans être ni latin ni germanique, était pourtant européen. Ce fut chez eux que les apôtres slaves Kyrille et Méthode bâtirent, au IXe siècle, les premiers temples de l’église gréco-slave. Cette église unie à Rome, et protégée long-temps d’une manière toute spéciale par les papes, se répandit vite en Bohême et dans toute l’immense Moravie (la Russie méridionale actuelle) ; mais héritier de la prétendue universalité politique des Romains, l’empire allemand d’alors ne voulait pas de rival. C’est pourquoi, ne pouvant à eux seuls subjuguer ces Slaves indépendans, les Allemands, sous l’empereur Arnuif, appelèrent à leur aide la horde maghyare ; issue des Huns d’Attila ; cette horde accourut d’Asie sur ses chevaux sauvages, et mit, en pièces l’empire morave. Complètement terrassés dans une dernière bataille sous Presbourg, en 907, les Slovaques sont depuis lors esclaves des Maghyars.

La Tchéquie (Bohême) et la petite Moravie, fortes de leur union fédérative, continuèrent néanmoins, après la chute des Slovaques, de