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l’ancien Illyricum n’offre pas moins de 11,300,000 ames. Les Bulgares peuvent, il est vrai, se considérer tout aussi bien comme annexes de la Grèce que comme annexes de l’Illyrie. Néanmoins, quoi qu’il arrive, ils resteront Slaves, et solidaires par conséquent des destinées de la race qui occupe la majorité du territoire illyrien. Par leur position intermédiaire, habitant les deux côtés du Balkan, tournés les uns vers le Danube les autres vers la mer Égée, les Bulgares tendent à s’annexer commercialement, moitié à l’Illyrie, moitié à la Grèce. La Bulgarie pourrait, de cette manière, devenir le nœud qui relierait le système illyrique au système panhellénien.

Habité, comme on voit, par 11,300,000 Slaves, l’ancien Illyricum renferme en outre la nation maghyare, nation d’une énergie formidable, en qui paraît s’être incarné de nouveau l’ancien génie de l’Illyrie, également propre à la conquête et à la résistance. Il serait difficile de préciser le nombre exact des Maghyars, car ils se sont trop disséminés dans les vastes provinces qu’ils se croient appelés à gouverner, mais élevât-on ce nombre même à 3-millions, en y comprenant les amis et les cliens des Maghyars, qu’est-ce que ce chiffre auprès de celui des Slaves, nous ne dirons pas de toute l’Autriche, mais du seul royaume de Hongrie ? L’incroyable ascendant que le Maghyar exerce sur les peuples du Danube ne peut s’expliquer que par l’état déplorable de désorganisation politique où se trouve la race indigène de l’Illyricum. Les conquérans s’en sont fait trois grandes parts : il y a l’Illyrie turque, l’Illyrie hongroise et l’Illyrie autrichienne ; chacune est administrée, ou plutôt opprimée d’une façon essentiellement différente. En outre, chacune de ces trois grandes fractions se subdivise presque à l’infini. En Turquie, il y a la Croatie turque, la Bosnie, la Serbie, le Monténégro, l’Hertsegovine. En Hongrie, il y a le royaume de Slavonie, qui a ses droits particuliers isolément du banat de Temesvar ; il y a le royaume croate et la Croatie militaire, puis une autre petite Croatie soumise aux Maghyars, et comptant 145,000 habitans. Sous la police immédiate de l’Autriche, il y a la Styrie, qui est séparée de la Carinthie par des lois spéciales ; il y a les Ilires, il y a enfin la Dalmatie, où 400,000 Serbes sont forcés de vivre à part, et investis presque malgré eux de privilèges exclusifs. Partout c’est une profusion incroyable de prérogatives et de chartes, une comédie constitutionnelle complète. Nulle part le machiavélisme de l’esprit de conquête ne s’offre plus à nu.

Cependant, en dépit de tant d’obstacles, les Slaves de l’Illyricum sont parvenus, après trente ans d’efforts, à se frayer par l’unité de