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romaine aux corsaires d’Illyrie pour les réduire au repos. On sait l’influence que ces peuples ont de tout temps exercée sur le sort de l’Italie ; mais ce qu’on ne sait pas et ce que la vanité des historiens grecs, a peut-être tenu à dessein dans l’oubli, c’est la part des Illyriens aux triomphes militaires des Hellènes. Quand la guerre séculaire des rois de Macédoine contre ces peuples eut amené leur incorporation à l’empire macédonien, Philippe devint le maître de la Grèce, et Alexandre alla conquérir le monde.

Malheureusement pour la Grande-Illyrie, elle fut, à cause de son étendue même, occupée dès l’origine par une foule de races hétérogènes, et l’on peut dire d’elle ce que d’autres ont dit du Nord, que c’est une fabrique de nations. Outre les Pelasges, pères des Grecs, et les Vlaques, qui semblent être la souche des tribus latines d’Occident, l’Illyrie renfermait une masse nomade de Scythes de toute langue. Tel est le chaos d’où se dégagèrent enfin la langue et la société slaves, destinées à personnifier l’Illyrie. Ainsi, c’est comme nation slave que l’Illyrie se montre dans les temps modernes ; mais parce que l’élément slave a dans ce pays la majorité numérique, s’ensuit-il que l’Illyrie doive rejeter de son sein et exclure comme étranger tout élément qui ne serait pas slave ? Le Maghyar, qui habite comme le Slave l’ancien Illyricum, ne doit-il pas aussi être considéré politiquement comme Illyrien ? En un mot, la nouvelle nationalité illyrique n’est-elle pas, comme l’ancienne, formée d’élémens complexes ? Nul doute qu’elle ne fût comprise ainsi par l’homme qui conçut le premier le dessein de la rappeler à la vie, et cet homme n’est autre que Napoléon.

Cherchant ce qu’on pourrait mettre à la place de ce flottant empire d’Autriche, dont la politique vacillante déconcertait toutes ses prévisions et déjouait tous ses plans de réorganisation européenne, Napoléon, dans un de ces momens d’illumination qui n’appartiennent qu’à lui, lança de Milan, en 1809, son fameux édit aux populations illyriennes. Il les conviait à former un grand peuple, et leur accordait tous les privilèges nécessaires pour atteindre à ce but glorieux. C’était la vaste Illyrie des Romains qui se ranimait à la voix de César. Borné d’abord au littoral slave de l’Adriatique, à la Carinthie, à la Carniole, à la Croatie, le nouveau royaume slave devait s’étendre avec les évènemens il devait absorber la race maghyare, entamer l’empire turc et grand en face de la Russie. Ce nom terrible d’Illyriens qui rappelait tant de dévastations tant de migrations de hordes et de tribus armées, offrait à Napoléon un favorable augure, impatient qu’il était aller anéantir les trônes vermoulus de l’islamisme, pour créer à leur