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on pourrait du moins, sans les séparer de la Porte, les unir douanièrement au royaume.

C’est toutefois sur les îles, il faut le reconnaître, que repose principalement la puissance de la Grèce ; la population insulaire, qui forme le troisième élément de la nationalité hellénique, n’est, on peut le dire, le bras droit. Cette dernière branche du peuple, représentée vis-à-vis de l’Europe par la république septinsulaire de Corfou et le petit état de Samos, est sans doute trop éparpillée pour agir avec force ; mais quel incalculable élan n’imprimerait pas aux îles grecques leur réunion politique avec les provinces continentales ! Il suffit, pour s’en convaincre, de penser à la position qu’occupent Candie vis-à-vis de l’Égypte, Chypre vis-à-vis de la Syrie, Rhodes et Chio vis-à-vis de l’Anatolie. Prenez seulement ces quatre îles, dont chacune pourrait former un florissant royaume ; unissez-les avec la Morée et l’Épire, avec Athènes et Corfou, puis cherchez s’il y aurait dans le monde une puissance maritime, comparable à celle-là. Une preuve irrécusable de la prospérité croissante du commerce hellénique, c’est l’état de sa marine marchande, qui ne comptait, avant l’insurrection, que 600 barques armées, et s’élève aujourd’hui à plus de 3,500 voiles, sans compter la marine de guerre.

Oui, la Grèce sera’ grande sur mer comme sur terre L’apparente léthargie où languit ce pays depuis qu’il est devenu royaume ne saurait inspiré des craintes sérieuses aux amis de sa cause. Le statu quo des Hellènes ne vient pas d’eux, mais de la diplomatie ; il s’explique par les désirs secrets de l’Europe, qui cache sous le culte de l’immobilité politique l’intention mal déguisée de partager l’Orient. Les puissances intéressées se gardent bien de laisser se rejoindre les parties démembrées du monde oriental. C’est pourquoi elles maintiennent la division de la Grèce en trois parties sous trois gouvernemens distincts. Destinée à conserver une harmonie nécessaire entre la souveraineté hellénique et les empires si divers qui l’entourent, cette division n’a de réalité que dans le monde des formes et des mœurs ; elle n’est que la triple manifestation d’un même principe social, d’un même intérêt de race. En dépit des efforts de la diplomatie européenne, les trois Hellénies ne formeront jamais qu’une triade indivisible. Corfou, Athènes, la Romélie, ne resteront séparées qu’autant que subsistera la force étrangère qui les tient à distance, et même sous la pression de cette force, qui n’est rien moins que le concert européen tout entier, une partie de la Grèce maintient encore sa souveraineté, et la