Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre de ces lacs : il craint sans cesse de troubler les mystères qui se célèbrent dans leurs abîmes, car, quand la tempête y gronde, on y entend la voix des aïeux. Le Baïkal est encaissé entre des rochers perpendiculaires qui plongent sous l’eau jusqu’à 2 ou 300 mètres. Ce lac est d’une telle profondeur, qu’à quelques pas du rivage, on ne peut plus le sonder. La capitale de la Sibérie, Irkoutsk, se trouve presque aux limites de la vie végétale, et cependant le colon gréco-slave a porté jusque-là les arts d’Europe, aussi bien que les usages de la Grèce. Dans les rues d’Irkoutsk, la calèche parisienne se croise en roulant avec le char grec antique, devenu le drochki russe, et les Chinois, qui entretiennent avec cette ville un commerce actif, s’étonnent de voir l’Europe et ses mœurs transplantées si près de leurs frontières.

Plus loin encore, vous trouvez le Kamtchatka, presqu’île tellement dévastée par les brumes éternelles et les vents de la mer Glaciale, que toute culture y est presque impossible ; mais le feu souterrain que la glace refoule y réagit avec d’autant plus de fureur. Comme la Sicile, cette péninsule a son Etna qui l’ébranle tout entière et lui déchire incessamment les entrailles. Là, du milieu des neiges s’élancent des gerbes enflammées ; là, un fleuve entier d’eau thermale coule en formant des cascades, et ses rives, respectées par les vents du pôle, étalent tout le luxe d’une végétation méridionale, là enfin, durant leurs longues chasses, le Tongouse et I’Iakout à demi gelés peuvent, en passant, se réchauffer au feu des cratères. Si l’on voulait comparer les deux îles extrêmes du monde gréco-slave : Candie, près de l’Égypte, et la Nouvelle-Zemble, près du pôle, quelle foule de contrastes jailliraient de ce rapprochement ? Comment peindre les magnificences des trois règnes de la nature dans ce monde immense, depuis Irkoutsk jusqu’à Damas en Syrie ?

Dans cette Syrie des Séleucides, ou l’hellénisme alexandrin eut ses plus célèbres écoles, les Grecs aujourd’hui ne forment plus, il est vrai, qu’une population peu nombreuse. Néanmoins ils en cultivent encore les plus beaux districts ; à eux appartiennent les plus féconds plateaux de l’anti-Liban, à eux la plaine embaumée de Naplouse, avec ses forêts de limoniers et de palmiers. Unis aux Maronites, ils mettent ce peuple de laboureurs en rapport avec la mer. Damas elle-même leur doit en grande partie les félicités dont elle jouit, et qui l’ont fait surnommer en Orient la maison des délices, l’odeur du Paradis. De la voluptueuse Damas jusqu’à Constantinople s’étend une ligne non interrompue de villes grecques, et ces villes unissent aux plus belles positions maritimes du monde le charme d’un climat qui en fait des asiles enchantés.