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entre la torpeur de la zône glacée et l’inertie, de la zône brûlante ? Quels horizons plus parfaitement beaux, quels paysages plus achevés que ceux de l’Hellénie ? L’Italie même n’en a pas de comparables. Comment décrire les grands aspects, la quiétude éternelle, la plénitude de vie, dont on jouit dans l’Archipel ? Samos, Chio, la Troade, Pathmos, toutes les îles grecques, nagent dans une atmosphère tellement éthérée, tellement dégagée de vapeurs grossières, que l’œil nu les découvre d’une distance presque fabuleuse. De loin, leurs contours se dessinent si fuyans, si aériens, qu’on dirait des nuages d’azur, bercés par la brise dans la lumière du ciel. Vues de près au contraire, ces belles îles ont des contours si précis, des couleurs et un teint en quelque sorte si vivant, qu’on les dirait animées d’une vie mystérieuse. Là on comprend les demi-dieux et les héros d’Homère. Dans ce milieu d’une transparence si pure, l’homme paraît physiquement plus qu’un homme, et ceux qui ont vu les femmes grecques, ceux qui ont pu contempler tant de charmes, s’enivrer de tels regards, s’étonnent moins que les anciens aient adoré en elles le type accompli de la beauté.

À ces divinités assises dans le paradis gréco-slave comparez les habitans slaves du septentrion : vous vous croirez transporté dans une autre planète, tant les hommes et les climats diffèrent. A Pétersbourg ou en Finlande, le ciel est tellement abaissé, qu’il semble peser sur la terre comme une voûte ; on craint à chaque instant d’en atteindre les limites. A quelques pas devant soi, on ne distingue plus les objets ; tout est vague, terne, lugubre. Tandis que dans l’Archipel grec les écueils même se dessinent avec grace, et qu’en mugissant contre eux les vagues harmonieuses semblent la voix des sirènes, les rochers des côtes russes, au contraire, se dressent comme de sombres géans aux yeux des matelots, et la mer y hurle, même sans être en fureur. La nuit, qui en Grèce a des lueurs si mystiques, qui dort comme Diane près d’Endymion, pleine de calme et d’amour, la nuit est en Russie pleine de terreurs et de gémissemens. Le bouleau, cet olivier des steppes, cet arbre populaire qu’on pourrait appeler le père du peuple russe, apparaît de loin, avec son feuillage blanc, comme un fantôme dans son linceul Et le roi de la nature, l’homme comme il semble accablé ! comme ses gestes se soulèvent avec effort ! comme son regard terne, sa démarche pesante diffèrent du regard inspiré, de l’allure superbe des Hellènes ! C’est surtout la femme qui subit, dans ces contrées, une pénible transformation. Ainsi qu’une fleur éclose en serre chaude, la beauté russe est frêle et dure peu ; son visage s’arrondit en lignes vagues, sa taille manque de contours précis, la fraîcheur