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qu’il circule aujourd’hui presque seul en France ; qu’on juge de l’étendue des pertes que ces mutations continuelles ont entraînées pour le pays.

Il semble au premier abord que la différence qui existe depuis plusieurs années entre le rapport légal et le rapport commercial des deux métaux, différence qui n’est, après tout, que d’un 62e, ne soit pas assez importante pour faire naître la spéculation de les transporter d’un pays à l’autre, parce que les frais d’un transport absorberaient, dans bien des cas, le bénéfice. Cependant il ne faut pas oublier qu’il y a toujours, entre deux pays qui commercent ensemble, une circulation nécessaire de métaux précieux. Il en est des peuples comme des individus ; leurs échanges sont rarement directs, et les monnaies sont là, comme ailleurs, des intermédiaires obligés. Il est vrai qu’on s’en passe quelquefois, grace à l’intervention du crédit, que les achats et les ventes se compensent, et que la liquidation se fait au moyen de lettres de change remises de part et d’autre ; mais cela n’est vrai que dans une certaine : mesure, car il y a toujours, après tout, des versemens plus ou moins considérables à faire des deux côtés en numéraire. Il n’est donc pas nécessaire de se livrer à une spéculation toute spéciale sur les métaux pour profiter de la différence dont nous parlons, au détriment du pays, où elle existe ; il suffit d’avoir des paiemens à lui faire, ou des créances à recevoir de lui. C’est même le cas le plus ordinaire et le plus favorable. Alors, en effet, le transport ne compte pas, puisqu’il faudrait toujours le subir. Les frais sont nuls, et la différence est acquise tout entière à l’étranger.

Pour dire la vérité, ce que nous avançons ici après tant d’autres n’est peut-être pas d’une exactitude rigoureuse et d’une application générale. Il semble difficile, en effet, qu’un peuple se laisse toujours frustrer ainsi par ses voisins. Autant qu’il nous est possible de le comprendre, cela n’est vrai que durant un certain temps, et tant que ce peuple se laisse, en quelque sorte, abuser par la loi même qui le gouverne. Dès l’abord, il accepte cette loi sans trop se rendre compte de l’erreur qu’elle consacre, et c’est alors qu’il est vraiment dupe dans ses relations avec l’étranger, car l’étranger, lui, n’acceptant sa monnaie qu’à titre de lingots, est toujours prompt à en mesurer scrupuleusement la valeur. Plus tard, cette préférence même qu’on donne au dehors à telle de ses monnaies plutôt qu’à telle autre est pour ce peuple un avertissement qui ne saurait être perdu. Ce qui reste vrai alors, c’est qu’il continue à écouler au dehors celle de ses monnaies que la loi a classée trop bas ; mais il sait bien, en la donnant, se prévaloir,