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incontestables, des défauts graves à signaler. Rendons hommage d’abord aux travaux de la convention. C’est une heureuse innovation que celle qui a mis nos divisions monétaires en harmonie avec les combinaisons numériques, en d’autres termes, qui les a soumises aux lois du système décimal. Tout est régulier dans ces divisions chaque pièce est une fraction exacte ou un multiple des autres, et de plus, le fractionnement correspond toujours à la progression établie dans la numération. De là, quelle facilité dans les comptes ! quelle simplicité dans les calculs ! Rien de semblable ne se retrouve en Angleterre. Il n’y a entre les pièces de monnaie qui circulent dans ce pays aucun rapport symétrique pour en former des sommes, il faut sans cesse diviser et fractionner, et comme aucune de ces fractions ne correspond à l’agencement des chiffres dans la numération, il faut en quelque sorte bouleverser les lois de cette numération dans ses calculs. C’est un travail pénible, qu’on peut sans doute rendre plus facile par l’habitude, mais qui n’en reste pas moins pour le grand nombre un embarras de tous les jours. Ajoutez à cela que l’unité monétaire anglaise n’est pas, comme la nôtre, sensible à l’œil. Elle n’existe pas sous une forme saisissable, et pour se la représenter, il faut en quelque sorte la dégager par des calculs. Quelle est-elle cette unité ? C’est la livre sterling, et l’on sait que la livre sterling ne se trouve pas dans la circulation, en ce sens qu’aucune pièce de monnaie ne porte ce titre. C’est une monnaie de compte et non pas une monnaie réelle ; c’est une dénomination usitée seulement dans les calculs, dénomination qui correspond, si l’on veut, à une quantité d’or déterminée, mais qui ne présente aux yeux aucune image sensible. De là une certaine confusion dans les idées quant à l’existence de l’unité monétaire, confusion si réelle que le premier ministre d’Angleterre a cru devoir travailler, du haut de la tribune, à la dissiper[1].

  1. C’est dans un discours prononcé à l’occasion de la révision des statuts de la banque de Londres que sir Robert Peel a traité cette question, sur laquelle il avait été publié précédemment de volumineux écrits. L’objet de ce débat ne paraît pas avoir été bien compris en France, et ne devait pas l’être. Sur la foi de quelques plaisanteries lancées par le ministre à ses adversaires, on a cru que les objections de ces derniers n’étaient que ridicules, et en cela l’on s’est trompé. Il est certain que La notion de l’unité monétaire anglaise est peu saisissable et très confuse ; plusieurs causes ont contribué à l’obscurcir. D’abord, comme nous venons de le dire, cette unité n’est pas rendue sensible et palpable dans une pièce de monnaie ; en second lieu, la livre sterling, unité monétaire, représentait originairement et en principe une certaine quantité d’argent. Les seules divisions ou subdivisions qui s’y rapportent directement soit encore en argent, et cependant l’or est aujourd’hui en Angleterre la seule monnaie légale ; il faut donc, contrairement à l’idée primitive qu’elle réveille, payer la livre sterling en or. Enfin, la longue interruption du paiement des billets de banque en numéraire a achevé de brouiller toutes les idées. On indiquait sur ces billets une certaine somme en livres sterling ; cependant, comme ils perdaient plus ou moins contre le numéraire, cette somme ne représentait en aucun sens une valeur fixe : c’était une valeur vague, indéterminée, flottante, qui ne se mesurait approximativement que par la quantité variable des marchandises qu’on obtenait avec elle. Aussi, à cette époque, les économistes s’étaient-ils habitués à considérer l’unité monétaire comme une abstraction. Cette cause de confusion a disparu lors du retour des paiemens en espèces ; mais le sentiment qu’elle a fait naître lui a survécu. Aujourd’hui, sir Robert Peel cherche à déterminer clairement la valeur de la livre sterling, en disant qu’il faut la calculer à raison de 3 liv. 17 sh. 10 1/2 den. pour une once d’or. Cela donne-t-il une idée nette de la livre sterling ? Oui, mais à condition qu’on fera une opération de l’esprit et un calcul qui n’est pas à l’usage de tout le monde. — La livre tournois, dont on se servait autrefois en France dans les calculs, n’était aussi qu’une monnaie de compte, puisqu’elle n’était sensée valoir que 20 sous, tandis que la livre réelle, la livre courante, en valait 24 ; mais la livre tournois était en idée, comme la livre courante, une monnaie d’argent, et, par une comparaison très simple avec cette dernière, on pouvait se la représenter nettement. — Il existe cependant en Angleterre, depuis 1818, des pièces particulières, les souverains, dont la valeur répond assez exactement à celle des livres sterling. Diverses raisons ont empêché de les prendre pour base de calcul.