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de vivre, entraîne celle du moi. Tels sont les motifs qui peuvent faire pencher la croyance de ce côté ; mais ces raisons sont loin d’avoir pour Cabanis la même force que celles qui affirment l’intelligence de la cause première, ce qui signifie que l’immortalité de l’ame est moins prouvée que l’existence de Dieu.

Et encore cette ame, quelle est-elle ? Le moi est-il inséparable de cet ensemble d’idées et de sentimens que nous regardons comme identifiés avec lui ? Et quand on parle de la durée du moi après la mort, parle-t-on de la persistance de cet ensemble, qui ainsi subsisterait quand les fonctions organiques dont il est tout entier le produit ne s’exécutent déjà plus ? Les probabilités de l’affirmative deviennent en nous, dit-on, plus faibles encore, et tout ce qu’on nous accorde, c’est que la négative ne saurait se démontrer, et serait incompatible avec la justice parfaite dont l’idée est inséparable de la cause première.

Conclusion : déduire les règles de notre conduite des lois de la nature et de l’ordre, regarder chaque être et surtout chaque être intelligent comme un agent, un serviteur de la cause première, et qui concourt avec elle à l’accomplissement du but total vers lequel elle tend sans cesse avec une puissance invincible, ce n’est pas établir la morale sur une croyance religieuse, mais c’est une religion qui fut, est, et sera toujours la seule vraie.

Tels sont les dogmes, ou plutôt telles sont les espérances de Cabanis. Telle est la profession de foi ou de doute dont on a fait tour à tour un sujet de scandale ou un sujet de triomphe. Nous avouons qu’ici l’admiration comme l’indignation nous paraîtraient déplacées.Si l’on veut dire qu’après ses autres ouvrages, au milieu de son monde, la lettre sur les causes premières fait honneur à l’élévation, et à la flexibilité d’esprit de l’auteur, nous en conviendrons. Si l’on ajoute qu’elle contient des idées qui s’accordent mal avec quelques assertions et la doctrine apparente du livre des rapports, nous ne pouvons le contester. Si l’on remarque enfin qu’elle contrarie les préjugés d’un certain matérialisme médical et qu’elle s’écarte des principes rigoureux de l’idéologie, c’est encore chose évidente. Mais il faut reconnaître que la doctrine philosophique des autres ouvrages de Cabanis n’est pas assez nette, assez cohérente, pour que ses variations fussent un désaveu. Il n’y a pas plus ici de conversion que d’apostasie, et si l’on considère l’ouvrage en lui-même, on ne lui trouvera pas une assez grande valeur pour s’y long-temps arrêter. Les contradictions n’y manquent pas, et l’obscurité en est désespérante. Personne ne comprendra jamais ce