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Quant à la volonté, il me semble généralement convenu qu’elle est libre, et que, pour vaincre les appétits du corps, il suffit souvent de vouloir. Plus souvent elle est entraînée par les émotions sensuelles et les besoins organiques, mais il suffit que quelquefois elle puisse se soustraire à tout empire. Elle apparaît à l’homme comme étant en lui un pouvoir indépendant par essence, quoique souvent contrarié ou dominé par accident. Elle est investie d’une force de résistance et même de contrainte, qui ne peut être rapportée à aucune cause sensible connue, et qui déroge ou s’oppose à toutes les causes de l’ordre physique. Il semble qu’une différence profonde et essentielle sépare la volonté et les organes. Une indépendance de nature les sépare ; une dépendance de circonstance semble les réunir. Il faut que l’homme subtilise beaucoup pour les identifier, et il n’y parvient jamais qu’en faisant violence à ses idées pratiques et à son langage habituel.

Il est donc vrai que nous avons une disposition naturelle à distinguer en nous-même un ensemble de facultés qui confinent au physique qui empruntent de lui, transigent avec lui, qui, en un mot, sont en commerce avec lui, mais qui ne sont pas lui, et qui ne lui ressemblent pas, quoiqu’elles le touchent, et ne s’annulent pas en lui, quand même elles lui cèdent. Le système de l’identité du moral et du physique est donc : 1° fondé uniquement sur la succession constante et réciproque de certains phénomènes internes à certains phénomènes externes ; 2° appuyé par une induction gratuite, non par une perception immédiate, non par une expérience directe, non par une évidence sensible ; 3° compliqué par la multiplicité et la diversité infinies des phénomènes physiques qu’il suppose, et dont aucun n’a été observé, dont aucun n’est observable ; 4° contraire à, l’opinion commune, au langage ordinaire à la pratique de la vie, au sentiment naturel.

Il suit que, pour qu’il soit vrai, il faut au moins qu’il soit justifié, 1° par d’autres preuves que celles que nous avons examinées jusqu’ici, 2° ou tout au moins par une théorie plus claire et plus plausible qu’aucune autre de la nature humaine. Ceci conduit à l’examen de la physiologie de Cabanis, en tant qu’elle explique l’homme moral.

Cette physiologie a deux caractères notables : le premier, c’est de ne pas admettre l’irritabilité. Cette propriété féconde, dont en général, depuis celui qu’on a appelé le grand Haller, on a fait la propriété fondamentale, et distinctive de la matière animale, est annulée ou rejetée au second rang par Cabanis. Pour lui, elle résulte de la sensibilité ; c’est parce que l’organe est sensible qu’il s’irrite, et la sensibilité ne suppose pas toujours la sensation.